Peuples de l'Arctique
Les peuples de l’Arctique ont développé des modes de vie propres à l’environnement vivant, et non désertique ( comme on le perçoit parfois, à tort). Ils ne cessent de s'adapter, depuis des décennies.
Au-delà de traits culturels communs, ils différent par leur économie traditionnelle – les uns sont éleveurs nomades, les autres chasseurs-pêcheurs semi-nomades ou sédentarisés ; comme par l’espace géopolitique dans lequel ils évoluent - Canada, Danemark, États-Unis, Fédération de Russie, Groenland, Islande, Norvège, Suède.
Ces communautés peuvent être réparties en trois grandes aires : Inuit, Sami et peuples autochtones d’Eurasie septentrionale.
LES INUIT
Estimés à 170 000, quel que soit le nom qu’ils portent localement (Yupiit, Unangan, Inupiat), ils constituent un continuum linguistique à travers la Tchoukotka, l’Alaska, l’Arctique canadien et le Groenland.
Leur culture s’est développée et maintenue, au fil des siècles et des colonisations, jusqu’à une affirmation politique qui se traduit par des gouvernements d’autonomie régionale. Ainsi au Canada par exemple, les Inuit sont rattachés à quatre régions administratives nées de revendications territoriales et d’accords signés : le Nunavik (1975) dans le Québec arctique ; la région Inuvialuit (1984) dans les Territoires du Nord‐Ouest ; le Nunavut (1999) ainsi que le Nunatsiavut (2006) au Labrador. Afin de renforcer les liens entre les différentes communautés, mais également de défendre et promouvoir les intérêts environnementaux, économiques et sociaux ainsi que le développement durable de la région de l’Arctique, les Inuit siègent au Conseil Circumpolaire Inuit et au Conseil Arctique (la présidente de ce dernier, pour la période 2013-2015, est Leona Aglukkaq, originaire du Nunavut et ministre fédérale de la Santé).
LES SAMI
Recensés à 96.000 en 2009, ils vivent en Finlande, en Norvège, en Suède et en Russie ; traditionnellement, ils sont éleveurs de rennes et pêcheurs. En réponse à leur marginalisation passée et à leur acculturation prochaine, les communautés ont réinvesti leur culture, notamment depuis les années 1960. Leur militantisme identitaire et leur lutte contre l’exploitation industrielle expriment la quête d’autodétermination de ce peuple de l’Union européenne. Aujourd’hui, les Sami de Scandinavie, sont représentés par un parlement élu qui défend leurs intérêts territoriaux, linguistiques, mais également une certaine autonomie culturelle. En Norvège par exemple, le parlement sami (Sámediggi) a été créé en 1989, dans une double perspective : prendre des initiatives politiques et gérer les tâches administratives publiques, notamment dans le domaine de l’éducation, de la culture, de la langue, de la protection de l’environnement et du patrimoine culturel, du développement économique et de la coopération internationale ; il a également un rôle consultatif auprès du pouvoir central pour et donne une plus grande lisibilité nationale et internationale aux Sami. Au-delà des frontières des États nations, le conseil sami (Samirađđi) fondé en 1956, œuvre à développer et préserver la coopération des Sámi de Norvège, de Suède, de Finlande et de Russie, autant que faire se peut.
LES PEUPLES AUTOCHTONES D’EURASIE SEPTENTRIONALE
Ils sont disséminés, de l’Oural au Pacifique, des toundras arctiques aux taïgas subarctiques, sur de vastes territoires, depuis la Sibérie occidentale et la Sibérie orientale jusqu’à l’Extrême-Orient russe. Nomades, semi-nomades ou sédentaires selon les communautés, leur économie traditionnelle est fondée sur la chasse, la pêche, l’élevage et la cueillette.
Parmi les peuples minoritaires (c’est-à-dire moins de 50 000 individus selon les critères officiels russes) de l’Arctique russe, les Sami, les Khantys (30 943), les Mansis (12 269), les Nénètses (44 640), les Énètses (227), les Nganassanes (862) et les Selkoupes (3 649) appartiennent à la mégafamille ouralienne ; les Dolganes (7 885), les Évènes (21 830), les Évenks (38 396) à la megafamille altaïque ; les Tchouvantses (1 002), les Youkaguirs (1 603), les Itelmènes (3 193),les Kéreks (4), les Kamtchadales (1927), les Koriaks (7 953), les Tchouktches (15 908), à la famille paléoasiatique ; les Unangan ou Aléoutes (482), les Iuit ou Iupiit (1 738), à la famille eskaléoute ; les Kètes (1 219) représentent une langue isolée. Par contraste, les Sakha (Yakoutes) sont 478 085 et disposent de leur propre république ; leur épopée a officiellement été inscrite par l’UNESCO au patrimoine immatériel de l’humanité en 2005. Ces chiffres du dernier recensement (2010) montrent ainsi une croissance modeste pour 14 peuples (contre 18 en 2002) tandis que 24 diminuent en nombre.
Après la russification sous l’empire, la soviétisation sous le régime soviétique, le début des années 1990 a été marqué par une redistribution des pouvoirs entre le centre et les régions, mais également par une recomposition identitaire. En ce qui concerne les sociétés autochtones, de nouvelles voies d’expression de soi ont créées et explorées à l’initiative de l’intelligentsia : campements ethnographiques, écoles ethno-pédagogiques, etc. Actuellement, l’Association Russe des Peuples Minoritaires Autochtones du Nord, de Sibérie et d’Extrême-Orient (1990) regroupe 35 associations et 41 peuples du Nord afin de défendre leurs droits et leurs intérêts stipulés dans les documents officiels – telle la Constitution de la Fédération de Russie (1993) –, mais qui demeurent trop souvent lettre morte sur le terrain
ET CÔTÉ CINÉMA ?
Les peuples de l’Arctique nous sont apparus très tôt, notamment grâce à Robert Flaherty, pionnier du cinéma ethnographique, qui tourne Nanook l’esquimau en 1922. Il est suivi de près par l’anthropologue Danois, de mère inuit, Knud Rasmussen, et son magnifique Les noces de Palo, tourné en 1933 lors de sa dernière expédition.
Se succèderont alors des générations d’ethnolographes, à l’instar de Jean Malaurie, qui va contribuer avec sa série Les rois de Thulé à diffuser une image plus précise de celui qu’on appelle alors indifféremment “esquimau”.
Côté petits peuples de Russie, on assiste ensuite à l’émergence de toute une génération de réalisateurs d’origine autochtone.
Les plus connus d’entre eux sont d’origine nénets et son compagnon finlandais Markku Lehmuskallio, auteurs des Sept chants de la toundra et de nombre de beaux films. Des réalisateurs Iakoutes tournent actuellement et sont diffusés grâce au travail de Boréalia et de l’anthropologue Emilie Maj.
Les Tchouktches ont aussi été au coeur de nombreux documentaires.
Côé Sami, le finlandais Paul-Anders Simma, le norvégien Niels Gaup ou Asa Simma, elle-même sami travaillent depuis des années à défendre l’image et la culture de ce peuple.
Côté Canada, on doit la première fiction tournée entièrement en inuktitut au réalisateur et producteur Zacharias Kunuk, Atanarjuat, la légende de l’homme rapide, en 2001. Celui-ci a depuis développé une télévision dédiée aux autochtones, Isuma TV.
En ce qui concerne les peuples autochtones minoritaires de Russie, de nombreux films (fictions comme documentaires) ont été tournés à l’époque soviétique, tels Le Grand Samoyède ou le célèbre Dersou Ouzala.
Depuis la fin du régime soviétique, des réalisateurs étrangers, estoniens notamment (Lennart Meri, Liivo Niglas), ont travaillé avec les Nénètses et les Khantys. Le réalisateur Alexandre Vakhrouchev a réalisé Le livre de la toundra. Le conte de Vukvukaï, le petit caillou (2011) à partir de la vie du vieil éleveur tchouktche.
Hormis la Nénètse Anastasia Lapsui qui est l’auteur, avec son compagnon finlandais Markku Lehmuskallio, de nombreux films sur les peuples du Nord (Sept chants de la toundra sur les Nénètses, Anna sur les Nganassanes, La Forêt sur les Selkoupes, Fata Morgana sur les Tchouktches) récompensés dans les festivals internationaux, il n’est guère de cinéma autochtone dans l’Arctique sibérien. Néanmoins, dans les films Svadevnij argiš, La caravane nuptiale de traîneaux (2005) et Krasnyj Lëd. Saga o Hantah - Les glaces rouges ( 2010), tous les deux adaptés de récits d’écrivains khantys, des Khantys ont été acteurs le temps d’un film.
Pour les grands peuples, des réalisateurs iakoutes comme Viatcheslav Semionov et son Balyksyt (Le pêcheur) sont apparus ces dernières décennies, et sont diffusés en France grâce au travail de l’anthropologue Emilie Maj et de sa société de diffusion Boréalia.
Synthèse de Dominique Samson Normand de Chambourg,
Etudes Sibériennes à l’INALCO, membre du Centre de recherches Europes Eurasie
BIBLIOGRAPHIE
- Un roman khanty : Aïpine, E., L'Étoile de l'Aube, traduit du russe (Sibérie) par Dominique Samson Normand de Chambourg, Monaco, Éditions du Rocher, 2005.
- Moldanova, Tatiana, Les caresses de la civilisation, traduit du russe (Sibérie) par Dominique Samson Normand de Chambourg, Paris, Éditions Paulsen, 2007.
- Raccurt, M. et Chenorkian, R., Mondes Polaires - Hommes et biodiversités, des défis pour la science, Paris, Le cherche midi / CNRS, 2011.
- Rouguine, R., La chatte qui a sauvé le monde, traduit du russe (Sibérie) par Carine Puigrenier et Dominique Samson Normand de Chambourg, Paris, Éditions Paulsen, 2008.
- Samson Normand de Chambourg, D., "La guerre perdue des Khantes et des Nénètses des forêts", Études mongoles et sibériennes - Une Russie plurielle. Confins et profondeurs, Paris, Centre d’Études Mongoles & Sibériennes/École Pratique des Hautes Études, 2007/2008, n° 38-39, p. 119-195.
- Le chagrin de l'Ours. Les Khantys du Nord sibérien, Paris, O.D. Éditions, 2010.
Crédits photographiques : Emilie MAJ, mission ethnoequid 2003, village de Sakkyryr (Yakoutie du nord en bordure du cercle polaire arctique).