Amérindiens
Des découvertes archéologiques récentes feraient remonter les premières migrations à plus de 40.000 ans. Venant de Sibérie, elles auraient traversé le détroit de Béring et, après la disparition des masses glaciaires d’Amérique du Nord, auraient pu continuer la colonisation du nouveau continent. D’autres théories parlent de peuples océaniens ayant traversé l'océan Pacifique ou encore de peuples européens. Les Amérindiens, quant à eux, s'appuyant sur leur tradition orale, soutiennent que leurs ancêtres ont toujours habité sur le continent.
Quoi qu'il en soit, la diversité des milieux naturels du continent a engendré des cultures très différentes. Mais, à partir de 1492, l'arrivée des Européens bouleverse la vie des peuples autochtones d'Amérique et beaucoup ont totalement disparu, déportés, acculturés et, pour certains, réduits en esclavage. Selon Hans Köning dans Petite histoire de la conquête de l'Amérique, les populations autochtones auraient été décimées à hauteur de 85 % entre 1492 et 1700 – dans l’hypothèse la moins dramatique. On comprend pourquoi les plaies sont malheureusement encore ouvertes, d’autant que, pour certains, l’histoire n’est pas si ancienne : le massacre de Wounded Knee, marquant la fin de la lutte armée des Etats-Unis contre les Amérindiens, ne date que de 1890. Et la violence, le racisme et le mépris encore présents ne permettent pas vraiment de faire une croix sur ce passé sanglant et douloureux...
Sur la terminologie, lire l'article en ligne « De l'usage des termes "indigène" et "autochtone" » : http://delaplumealecran.org/pdf/IndigeneAutochtone.pdf
Les termes « Amérindiens », « Indiens d’Amérique », « Premières Nations » sont utilisés pour désigner spécifiquement les premiers occupants du continent américain. Il convient de noter qu'au Canada, le terme d'autochtones englobe à la fois les Premières Nations (Amérindiens), les Inuits et les Métis (descendants de l'union de colons européens avec des Amérindiens).
Une très grande diversité de peuples et cultures
On estime à 50 millions le nombre d'Amérindiens aujourd'hui dont 5,2 millions aux États-Unis (recensement de 2010, soit 1,7 % de la population totale pour 566 tribus reconnues fédéralement) et 1,4 million au Canada (recensement de 2011, soit 4,3 % de la population totale pour 50 nations). En Amérique du Sud et centrale, on évalue à 670 le nombre de peuples autochtones différents, dont 102 vivent en Colombie.
Les pays d'Amérique du Sud à plus forte proportion de population autochtone sont le Guatemala, la Bolivie, l’Équateur et le Pérou. Mais c’est au Mexique que l’on compte le plus grand nombre d’Amérindiens (environ treize millions d'après le recensement de 2005), même s’ils ne représentent que le dixième de la population nationale. Tous les autres pays comptent des minorités indiennes plus ou moins importantes.
Depuis une cinquantaine d’années, la plupart des peuples autochtones des Amériques connaissent une forte expansion démographique (par exemple 39 % de croissance aux Etats-Unis entre 2000 et 2010) et une renaissance qui s’accompagnent de profondes transformations. Les Amérindiens sont de plus en plus nombreux dans les villes (78 % de la population autochtone est urbaine aux Etats-Unis, 53 % au Canada), exerçant des activités variées, reconstruisant et transformant sans cesse leur identité.
De soulèvements en victoires...(note)
note : Le texte de ce paragraphe est adapté de la préface du livre de Hans Köning, Petite histoire de la conquête des Amériques, rédigée par Sophie Gergaud. Best-seller écrit en 1992 et paru pour la première fois en France en 2010, ce livre raconte la tragique histoire de la conquête d’un continent, l’Amérique, et de l’implacable dévastation des cultures et des peuples qui y vivaient. C’est aussi, de fait, le récit de leurs résistances, de Túpac Amaru à l’American Indian Movement.
Dès les années 1960, les peuples autochtones à travers le continent américain se mobilisent et se regroupent pour défendre leurs droits, d'abord dans leurs pays respectifs puis, progressivement, en lançant des processus de revendication d'envergure internationale. Parallèlement à cela, l'émergence d'écrivains amérindiens, mais aussi d'avocats et de chercheurs universitaires enclenche une reconquête et une réécriture des histoires amérindiennes.
Il y a vingt ans, en 1994, au Mexique, les Zapatistes du Chiapas osaient affirmer à l’opinion internationale qu’une alternative au modèle économique libéral, impérialiste et destructeur était encore possible. Plus au nord, en 1999, la création du territoire du Nunavut (Canada) marquait l’aboutissement du rêve et de la détermination des Inuits qui voulaient obtenir davantage de pouvoir et d’autodétermination sur leur territoire traditionnel grâce à un gouvernement local. Dix ans plus tard, si les Inuits ont pu s’impliquer davantage d’un point de vue politique dans les prises de décisions qui les concernent et si les progrès sont notables dans le domaine de l’éducation et de l’emploi, le Nunavut reste aux prises avec des défis de taille, comme l'accès aux ressources naturelles qui a été malheureusement facilité et un taux de suicides qui dépasse largement les moyennes canadiennes.
En 2007, après vingt ans de négociations, la Déclaration des droits des peuples autochtones a, enfin, été adoptée par l'assemblée des Nations Unies. Même si elle n’est pas contraignante pour les États signataires, cette déclaration marque un pas important franchi par la communauté internationale affirmant, entre autres, le droit des peuples à l’autodétermination et exigeant la consultation préalable des communautés autochtones pour toute décision concernant leurs territoires ou affectant leurs modes de vie. De plus, ces négociations ont engendré une mutualisation des compétences et un partage des expériences à l’échelle internationale qui ont conforté les peuples autochtones dans leurs revendications, renforçant par là même leur solidarité et l’efficacité de leurs combats à l’encontre, parfois, des mêmes acteurs.
L’élection d’Evo Morales (Aymara) à la présidence de la Bolivie en janvier 2006 a représenté un espoir énorme pour tous les Amérindiens du continent. Du côté des États-Unis, la nomination de plusieurs représentants autochtones au sein du gouvernement d’Obama, élu en 2009 puis en 2013, n’est pas passée inaperçue. Obama est également le premier Président en poste de l’histoire étasunienne à avoir rencontré, et ce à plusieurs reprises, les représentants des 566 nations indiennes officiellement reconnues et à avouer ouvertement les erreurs et les négligences du passé. Mais les déceptions sont également nombreuses, notamment sur l’épineux sujet des territoires et de l'accès aux ressources naturelles…
...la lutte continue !
Car, malheureusement, la conquête n’est pas terminée, elle est sans cesse en mouvement. La soif insatiable d’espaces à conquérir est toujours d’actualité et ceux qui ont été dépossédés par le passé tentent aujourd’hui de récupérer une partie de leur territoire ancestral. C’est le cas des Zapatistes qui continuent leur lutte au Chiapas, ou les Mapuche au Chili et en Argentine, mais aussi des Indiens sans terre au Brésil ou encore les Amérindiens du Canada et des États-Unis pour qui les nombreuses actions en justice veillent à faire respecter les traités historiques.
Qu’il s’agisse de multinationales énergétiques toujours plus voraces ou d’exploitations agricoles, le résultat est le même : des populations entières voient leurs territoires volés ou contaminés. De plus, leur souveraineté alimentaire est menacée. Au Paraguay, les terres de communautés autochtones sont détruites à un rythme alarmant au profit de la production de viande bovine. Au Brésil, c’est le soja et les exploitations d’huile de palme qui font des ravages… Au Guatemala, assassinats, menaces de mort et intimidations diverses se multiplient à l’intention de militants luttant contre des exploitations minières diverses. En Colombie, l’ONIC (Organisation Nationale des autochtones de Colombie) a récemment lancé une campagne pour attirer l’attention sur le risque d'extinction d’une dizaine de communautés à travers le pays.
En octobre 2012, au Canada, un projet du gouvernement prévoyait de modifier tout un éventail de lois et de règlements sans consultation préalable des autochtones, afin de favoriser la construction de pipelines destinés à transporter le pétrole brut des sables bitumineux d'Alberta. Une mobilisation de très grande ampleur, appelée Idle no More, s'est mise en place spontanément, gagnant très rapidement une dimension internationale. Si le but initial d'Idle no More n'a pas été atteint, il aura su générer une cohésion sans précédent entre autochtones et non-autochtones et aura eu pour effet d’informer un grand nombre de personnes sur les revendications particulières des Premières Nations.
Et c’est peut-être la force de cette dernière décennie : la réussite des mobilisations autochtones de grande ampleur. Ainsi, en octobre 2008, la Colombie a vécu la mobilisation indienne la plus importante et la plus généralisée de ces dernières années avec la Minga, sommet itinérant de résistance. Au Brésil, le Forum social mondial de Belém de 2009 a vu plus de 2 000 Amérindiens affluer pour dénoncer les graves discriminations dont ils sont victimes. Ces grandes mobilisations montrent que quoiqu’il arrive, le combat continue !
Pour en savoir plus, voir l'article Les productions audiovisuelles autochtones comme outils de connaissance de l'Autre de Sophie Gergaud (à paraître dans le cadre des Actes du colloque « Amérindianités et savoirs » de Poitiers).
Et côté cinéma ?
Les luttes politiques et les mouvements de contestation autochtones s’accompagnent de prises de parole et d’expressions artistiques qui transforment l’espace public. Dès les années 1980, l'apparition et la vulgarisation de la vidéo allègent considérablement le coût d'investissement, rendant possible pour les communautés autochtones l'acquisition d'un matériel modeste et, par là-même, donnant naissance à une expression audiovisuelle plus prolifique et autonome. C'est l'époque de la création des ateliers vidéos Video Nas Aldeias au Brésil (1986), du Centre de Formation et Réalisation Cinématographique (CEFREC) en Bolivie (1989) ou de la Coordination latino-américaine de cinéma des peuples autochtones (CLACPI). Depuis le début des années 2010, des processus de collaboration Nord-Sud existent également, grâce à l'impulsion du CEFREC et du Wapikoni Mobile, organisation de formation cinématographique du Québec, via des projets pilotes d'échanges de compétences en Bolivie, au Pérou et au Chili.
Les autochtones se sont emparés de la caméra précisément pour s'opposer aux représentations simplistes et stéréotypées trop souvent véhiculées par les médias et ainsi faire émerger de multiples voix, montrer leur diversité et leur complexité. Certes, ces productions prennent naissance dans un même contexte historique de colonisation, d'expropriations et d'acculturation et bon nombre d'entre elles relèvent du documentaire « coup de poing » pour faire entendre les multiples revendications en terme de violations de leurs droits fondamentaux. Les productions de Promedios, nées dans le cadre du soulèvement zapatiste de 1994 au Chiapas (Mexique), sont à ce titre emblématiques.
Mais c'est avant tout leur grande diversité qui est frappante :
- diversité des conditions de réalisation : de l'absence totale de moyens financiers pour des documentaires réalisés dans l'urgence aux réalisations plus confortables au Canada où de nombreux dispositifs de co-financements existent
- diversité des genres (fiction, animation, cinéma expérimental...)
- diversité des sujets et des publics visés : à côté de films documentaires, véritables outils de dénonciation et vecteur de changement social (Alanis Obomsawin, Sandy Osawa), coexistent des films réalisés au sein des communautés dans un but de transmission de savoirs et savoir-faire en interne (Video Nas Aldeias, Promedios), ainsi que des films de fiction à portée plus universelle. Un cinéma d'auteur a su se développer, plus complexe et esthétique dans sa forme, laissant davantage la place à des individualités créatrices qui revendiquent un statut d'artiste à part entière (Sterlin Harjo, Zacharias Kunuk, Chris Eyre, Steven Paul Judd, Jeff Barnaby...).
Où voir tous ces films ?
Les distributeurs professionnels restent frileux, n'y voyant que des productions dont l'intérêt se limiterait aux Amérindiens eux-mêmes ou, éventuellement, à un petit cercle d'initiés, même si des exceptions existent, comme par exemple Phoenix Arizona(note), première fiction réalisée par un Amérindien à être sortie en salle en 1998 à l'échelle internationale, ou encore Atanarjuat, la légende de l'homme rapide, Caméra d'or à Cannes en 2001. Les productions amérindiennes investissent également le web, comme par exemple IsumaTV, plateforme audiovisuelle inuit qui propose plus de 5 000 films accessibles en plus de 50 langues autochtones différentes.
note : Phoenix Arizona, dont le titre original est Smoke Signals, est considéré comme le premier film amérindien. Sorti sur les écrans étasuniens en 1998, il est réalisé par Chris Eyre (Cheyenne/Arapaho), inspiré d'un roman de l'écrivain amérindien Sherman Alexis (Spokane) et il réunit un casting entièrement autochtone, révélant les acteurs Adam Beach (Saulteaux), Gary Farmer (Cree), Tantoo Cardinal (Cree) ou encore Irene Bedard (Inupiat/Inuit) qui mènent, depuis, de belles carrières internationales.
Cependant, la plupart des films des Amériques indiennes ne rencontrent leur public que grâce à des réseaux associatifs de solidarité ou bien lors de festivals. Pionnier en matière de festivals consacrés uniquement aux Amérindiens, le Native Film and Video Festival a été organisé par le Smithsonian Institute à New York de 1978 à 2011. D'autres continuent cet héritage, comme l'American Indian Film Festival à San Francisco ou le Festival international de cinéma et vidéo autochtones organisé tous les deux ans par la CLACPI, chaque fois dans un pays différent d'Amérique du Sud. Au Canada, ImagineNative étend sa sélection à tous les réalisateurs autochtones du monde alors que le Festival Ciné Alter'Natif est le seul festival en France à ne projeter que des films réalisés par des Amérindiens.
Juillet 2014
Sophie Gergaud
Ethno-cinéaste,
Co-fondatrice et présidente de l'association De la Plume à l'Ecran
Directrice artistique du Festival Ciné Alter'Natif
Plus d'information sur le cinéma autochtone d'Amérique :
- De la Plume à l'Ecran / www.delaplumealecran.org / delaplumealecran@yahoo.com
Filmographie :
- Reel Injun, de Neil Diamond, 88', 2009
Roadmovie documentaire, à la fois pédagogique, drôle et émouvant, Reel Injun retrace l'évolution de la représentation des Amérindiens de l'époque du cinéma muet jusqu'à nos jours.
http://delaplumealecran.org/#btq;DVD
Bibliographie
- ALEISS Angela, Making the White Man's Indian, Native Americans and Hollywood movies, Praeger, 2005
- BELLIER Irène, « Autochtone », in Espace Temps.net, 09.02.2009.
- GERGAUD Sophie, Les productions audiovisuelles autochtones comme outils de connaissance de l'Autre, Actes du Colloque « Amérindianités et savoirs », Université de Poitiers, 2014.
On trouve en ligne l'intégralité du colloque filmé: http://uptv.univ-poitiers.fr/program/amerindianites-etamp-savoir/video/4214/les-conditions-de-la-connaissance-de-l-autre-video-cyberespace-museographie/index.html - GERGAUD Sophie, "De l'utilisation des termes "indigène" et "autochtone", 2014.
- Le site internet De la plume à l'écran.
- KILPATRICK, Jacquelyn, Celluloid Indians : Native Americans and films, University of Nebraska Press, 1999.
- KONING Hans, Petite Histoire de la Conquête des Amériques, préface de Sophie Gergaud, L'Echappée, [1992] 2010.
- MATEUS MORA Angelica, Cinéma et audiovisuel latino-américains, l'Indien: images et conflits,L’Harmattan, 2012.
- WILSON Pamela, Global Indigenous Media - Culture, Poetics and Politics, Duke University Press, 2008, pp.39-57.
Crédits photographiques : Vincent Carelli, Wapikoni Mobile (issues de l'exposition photographique "Les Yeux des Sans Voix" de l'association De la Plume à l'Ecran)