Thierry Salvert

Thierry Salvert

Pour traquer Thierry Salvert, il faut aller au café des Halles à Douarnenez sur le coup de midi. On peut le trouver là, attablé avec un café, et souvent avec un nuage d'amis. Thierry est quelqu'un de très fidèle en amitié. S'il n'y est pas, on peut tenter de repérer son vélo, devant la Galerie Miettes de baleine de Yuna Le Braz, alias DJ Wonderbraz, avec laquelle Thierry, alias VJ Badgreen, travaille depuis de longues années. Ou bien une rue plus haut, devant la devanture du Biniou, galerie de Cécile Borne, plasticienne et chorégraphe, avec laquelle il invente en tant que vidéaste depuis leur premier film en commun, Aziliz.
Si le lascar vous échappe encore, pousser jusqu'aux bureaux du festival de Douarnenez, qu'il fréquente, d'abord en tant que stagiaire puis régisseur puis administrateur et parfois en tant qu'artiste invité, tout simplement. Voilà, le mot est lâché, avec Thierry, c'est « simple » et le geste artistique découle toujours de belles rencontres humaines.
Pour ma part, je l'ai rencontré dans une cuisine, alors que des ailes de raie se suicidaient dans un court-bouillon.

 

Thierry, l'histoire d'amour avec le cinéma, elle prend sa source où et quand ?

J'ai grandi à Bannalec, en Finistère-Sud, à quelques encâblures du Centre Nautique de Rosbras-Brigneau où mes parents travaillaient. Je ne fais pas particulièrement des étincelles en primaire ni au collège, je dessine peu et je vais rarement au cinéma. J'ai pourtant un grand-père architecte et la peinture ne m'est pas étrangère, mais on ne court pas les musées. Pourtant, mon professeur d'arts plastiques du collège de Bannalec a entendu parler de l'ouverture d'une section audiovisuel à Douarnenez, et il l'évoque auprès de mes parents. Il pense que cela pourrait me convenir, et il ne s'est pas trompé. Je vais en effet y faire une seconde qui comptera beaucoup pour moi, non par mes résultats ( je suis viré et ré-orienté au bout d'un an en BEP à Brest, où je passerai mon CAP de projectionniste ), mais parce que je rencontre Bernard Séverac, qui m'accompagnera de longues années.

 

Qui est l'homme ? Sur le papier, le responsable de la section audiovisuelle A3 du Lycée Jean-Marie Le Bris de Douarnenez ?

Un étrange ovni de l'époque, enseignant, plasticien, cinéphile, communiste, génial. Dès le premier jour, il nous traite en adultes ( alors que nous sommes une bande de vauriens) et nous invite à prendre nos responsabilités. L'année scolaire ne commence pas pour lui avec l'ouverture du lycée, mais la semaine avant, quand le Festival de cinéma de la fin août-début septembre démarre. C'est aussi important que les cours, assène-t-il aux élèves, et nous serons nombreux à y passer des heures joyeuses et formatrices. En toute indiscipline.
Séverac se bat pour chacun de nous, connaît nos histoires familiales, nos ruades devant l'obstacle de jeunes poulains fougueux. D'ailleurs, il va solliciter une dérogation du Rectorat pour me réintégrer en première A3 après mon BEP. Il me confie : « je sais que tu n'auras probablement pas ton Bac, mais accroche toi, continue dans le cinéma ». Cette époque bénie nous voit tourner pendant nos vacances, empruntant tout le matériel du lycée, et voit Séverac nous confier les clés des salles, pour venir monter la nuit nos premières vidéos. Qui pourrait en faire autant aujourd'hui ?

 

Dans la foulée, il te pousse vers les Beaux-Arts à Quimper ?

Oui, plus exactement, c'est un autre enseignant, tout aussi atypique, le photographe Jean-Noël Winter, qui me pousse à tenter le concours des Beaux-Arts, que je réussis en 1992. Pourtant je ne suis pas le prototype d'élève attendu avec ses cartons à dessins sous le bras, je n'ai avec moi que des cassettes de films expérimentaux, en vrac dans un sac en plastisque, des films que j'ai tourné avec ma bande. Mais je vais trouver là d'autres tribus, beaucoup de liberté, une propension à nous laisser expérimenter par nous mêmes qui vont me ravir, pendant les 5 années que j'y passe. Dès la troisième année, sous couvert de stages, on me laisse faire mes premières expériences de régies.

 

Ton premier souvenir de film sur lequel tu travailles ?

En 1993, je suis stagiaire déco sur le film de fiction de Marie Hélia, An enez du. Au dernier moment, le régisseur pressenti ne vient pas sur le tournage et me voilà bombardé régisseur général ; je me souviens avoir bénéficié d'une bienveillance quasi-générale, depuis la réalisatrice jusqu'au machiniste qui me souffle parfois le soir : «  Je serais à ta place, je ferais plutôt comme cela pour demain ... ». Je navigue de conseils en découvertes : « ah oui, ce serait bien que ce soir tu amènes les rushs à la Sernam, à la gare ; tu en es responsable ». Je ne compte pas mes heures mais on me le rend bien et le producteur Michel Guilloux, de Lazennec Bretagne, refait appel à moi dans la foulée.
Je multiplie les expériences, et pendant dix ans je vais faire de la régie, sur des films ou en festivals : à Douarnenez, au Festival du Film court de Brest, à Travelling à Rennes.

 

C'est aussi le temps des découvertes artistiques ?

Oui, je m'initie au monde de la danse en allant « croquer » pendant les cours de la danseuse Annick Labbé, je rencontre le chorégraphe Patrick le Doaré et je fais de la vidéo et de la régie sur un festival de danse contemporaine qui se tenait alors à Quimper. En quatrième année des Beaux-Arts, on doit développer un projet personnel. Je suis au pied du mur, j'ai depuis longtemps un souci sur le fait de « discourir », je ne sais pas raconter d'histoires. Je m'interroge alors : quel est le langage immédiatement compréhensible par tous ? Et il m'apparaît alors évident que c'est la danse. Je chemine alors aux côtés de danseuses, Emmanuelle Bloy, Véronique Favarel, je découvre les grands de la danse contemporaine : Bernardo Montet, Catherine Diverrès, Pina Bausch.

 

C'est aussi l'époque de la rencontre avec Cécile Borne ?

Oui. En 1997, je vais au Saint, petite commune du Morbihan, où Cécile joue son solo, Aziliz, en ouverture du fest-noz. Le public est sur des bancs en bois ( ce-disant, Thierry esquisse dans l'air tout le plan de l'endroit, « là le hangar, une cour en bitume, là la salle de danse, et nous dehors dans l'herbe... ).  Je voisine avec trois mamies, qui semblent dans l'incompréhension totale, jusqu'au moment où elles s'ébahissent devant la danseuse : «  Mais on connaît les pas ! »
C'est pour moi une vraie révélation. Ce spectacle est en effet un sésame pour entrer dans la tradition quand on est plutôt moderne, et inversement pour s'affranchir de la tradition et tenter la création... Je le trouve à ce point important que je vais me démener , avec mon ami Fred le Gall, qui vient de commencer au sein de Vivement Lundi, pour le filmer. Ce sera un vrai tournage : Fred va chercher des sous, on tourne en super-16 avec une vraie équipe. En toute modestie, c'est un film qui fait référence pour plein de gens. Et pour moi, un déclencheur.

 

Tu vas innover plein d'autres fois en tandem avec Cécile Borne ?

Oui, j'ai continué avec elle sur ses créations de spectacles vivants. Je commence à mixer des images de danseuses sur la création Parages de Zéro, de Cécile. C'est le début de la démocratisation de la vidéo, je deviens le roi de la bidouille, les acquis de mon BEP me servent aussi, je dois dire. On continuera avec la série sur les métiers de femmes, Les mémoires vives. Parmi les épisodes que j'affectionne, le portrait des ouvrières de chez Armor Lux. Il y a aussi la céramiste Lucy Morrow, la peintre Vonnick Caroff, la métallière Valérie Louis, la patronne de bistrot Paule Chamard... Que des femmes singulières, dont j'ai aimé filmer le travail.
Puis Cécile me demande de travailler sur un teaser du spectacle Treizhourien, avec le cercle celtique Korriged Ys. Je ne sais faire seul, alors je me rapproche de Kenan an Habask, autre réalisateur, et c'est une productrice douarneniste, Laurence Ansquer, qui nous met le pied à l'étrier. Elle nous convoque un jour et nous dit : « ne vous arrêtez pas à ce teaser, faites en un vrai film ! »
Tout s'est fait alors très vite, et le film est le reflet de cette création de Korriged Ys. Ce sera mon premier documentaire, toujours en tandem. Je continue avec Kenan sur un second projet, Et pourtant ils dansent, qui sera achevé en 2023.

 

Tu continues aussi à collaborer avec Marie Hélia ? Mais pas seulement...

Oui, je vais travailler sur tous ses films ou presque, depuis An enez du jusqu'à Microclimat en 2005. Je deviens premier assistant, je collabore aussi sur des films de Vivement Lundi, Paris Brest productions, Les 48 èmes rugissants. Au total 21 films je crois. Mais je travaille aussi pour le théâtre, l'opéra, pour des concerts de rock, avec des DJ, avec des musiciens de jazz : Pierre Fablet, Daniel Pabœuf, Guillaume Roy... J'ai besoin de renouveller sans cesse mes univers de création. Je ne peux me cantonner à un seul terrain ; en général je fais des rencontres, et de ces rencontres naissent des collaborations, c'est aussi simple que cela. Il en est ainsi de la rencontre avec Yuna Le Braz, avec qui je mixe de la vidéo en live depuis bientôt 20 ans. Cela débouchera sur des créations comme Turbo sans visa (*), Gavotte ar Braz ou Barrut. En spectacle, Yuna est DJ Wonderbraz aux platines, et moi je mixe à partir d'images collectées dans les fonds de la Cinémathèque et d'images de danseurs et musiciens de partout...

 

Et tout cela, toujours en Bretagne ?

Oui, à une période, dans les années 2000, la voix toute tracée était de travailler sur Paris, mais j'ai refusé à ce moment-là. J'ai décidé de rester vivre à Douarnenez. Tout y est plus paisible, j'ai une capacité de m'y ressourcer, je n'ai jamais regretté ce choix. C'est la ville de mes années-lycée et c'est aussi le point d'ancrage du Festival de cinéma, qui a littéralement changé mon regard sur le monde. J'y ai découvert, année après année, et ce depuis mon premier festival en 1986 dédié à la Catalogne, que partout dans le monde des gens osent s'emparer de la caméra, sans producteur à leurs côtés  avec juste l'envie de filmer chevillée au corps. Ce versant documentaire a sûrement constitué l'ADN  de l'insatiable curieux que je suis. J'ai jeté l'ancre ici, et j'en suis heureux.


* Une façon de dire l'universel et la diversité culturelle très sensiblee, dans le cadre par exemple de l'exposition de l'Abbaye de Daoulas, Liberté Egalité Diversité  en 2019. Regarder Thierry mixer ces images, c'est comme plonger en apnée avec lui.

Filmographie

  • Et en plus ils dansent – Documentaire - 2022 - Tita Productions
  • Les essentiels - portraits youtube – 2022 -  Grain de sel
  • Je m'en vêts – CM expérimental - 2021 - autoproduction
  • La femme coiffée 1 et 2, avec Cécile Borne - CM expérimental  : 2020-2021 – Aziliz dañs
  • Ouverture du signal sur le poste d'aiguillage en gare centrale - Doc - 2018 - Tita Productions
  • Treizhourien avec Kenan an Habask - Documentaire – 2017 -Tita Productions
  • Les 30 ans de la Cinémathèque de Bretagne - clip - 2016-Tita Productions
  • Bretagne express – clip exposition -  2016 - Musée de Bretagne et Tita Productions
  • Ouvrez le bal ! avec Cécile Borne – Doc -  2015 – Aziliz dañs
  • Turbo sans visa – Gavotte ar braz - clips musicaux - 2015 - autoproduction
  • Clips musicaux : Bobby and Sue, Purée Dure Trio, 5 Round-KBA 5, Yüma, Shigediga, I'm wreck, Latitudes Erwan Kevec … 2013 à 2022
  • Série Les mémoires vivantes, avec Cécile Borne – CM documentaires :  La métalière, la bistrotière, la peintre, la cémiste, les ouvrières du textile, l'étoile danseuse, la paludière - 2010 à 2015 - Aziliz dañs
  • L'album – avec Marie Hélia - série - 2001 – Paris-Brest productions
  • Aziliz avec Cécile Borne - CM - 1998 – Vivement Lundi Productions
  • Nil nove sub sole - CM expérimental - 1996 - autoproduction