Fulvia Alberti

Une Italienne au Kurdistan

Terrasse à Taggia, en bord de mer, presque à la frontière italo-française.
Balcons ornementés, escaliers, ruelles tortueuses, églises qui carillonnent dans le lointain. Vin blanc gouleyant et anchois marinés.
J’ai décidé de cuisiner Fulvia chez elle, en Italie.
J’aurais pu aussi la croiser à Paris, où elle vit la plupart du temps.
Ou sur un sentier escarpé du Kurdistan irakien…

Fulvia, ici, en Italie, tu as décidé de mener une enquête, personnelle d’abord, politique ensuite, en tournant Grazie Berlusconi !, abouti en 2005.
Oui, à la veille des élections de 2001, j’ai acheté une caméra et, au fil des retrouvailles avec des amis, militants, j’ai suivi l’irrésistible ascension du Cavaliere. Les événements de Gênes, les centres sociaux, les radios libres… Creuser à la recherche de ce qui a nourri mes engagements.
Je préfère aujourd’hui finir ces anchois… Mmm ! Et je ne parle pas la bouche pleine !

Fulvia, on s’est aussi croisées dans les salles de cinéma. C’est quoi, le déclic du cinéma, pour toi ?
Le déclic a été pour moi la première fois où, à 14 ans, j’ai vu chez les bonnes sœurs (eh oui !) Mouchette, de Robert Bresson. C’est une fiction, mais il y a ce côté « documentaire » du jeu des acteurs, cette rigueur qu’on trouve rarement, cet amour de l’image, du son précis (à ce moment-là, pas à un autre, arrive la petite phrase musicale).
C’est imprimé là (elle tape de l’index sur sa chevelure blonde). Aujourd’hui, j’ai l’impression de faire des documentaires, quand je le peux, avec une construction de fiction… Va savoir comment tout cela s’organise dans ma tête !

Je t’ai surtout croisée sur des formations, et essentiellement sur des ateliers de réalisation au Kurdistan irakien, DoKu, que tu as montés, et maintenus, à force d’énergie, avec ton compagnon Baudouin Koenig.
Je vais au Kurdistan depuis 1991, d’abord comme journaliste pour la presse télévisuelle. J’ai aimé passionnément y aller, approcher ces gens. Dénouer les complexités de cette société : Kurdes, Arabes, chiites, sunnites, chrétiens, yézidis ou laïcs. Tenter de « traduire ». J’y ai tourné quantité de sujets, dont ces portraits de chrétiens en Irak.
Et puis, au fil des séjours, nous avons constaté, avec Baudouin, comment la manne pétrolière permettait d’alimenter des armées de cameramen, souvent super-équipés, mais sans aucun point de vue sur les réalités qu’ils filment. Sans aucun espace non plus pour faire le film qu’ils désirent profondément, raconter l’histoire qui les bouleverse…

Vous aviez aussi une idée de constituer une mémoire ?
Pour cela, pour les aider à constituer un regard vrai sur leur pays, de quelque communauté qu’ils soient, nous avons, avec d’autres amis, entrepris de les aider à fabriquer des images de leur temps. Notre objectif avoué : faire découvrir le cinéma du réel comme outil de dialogue, dans un pays déchiré par les conflits. Participer effectivement à la mémoire de ce pays. Prendre le temps de l’écriture, nécessaire. Apprendre à sortir du format télévisé, de ses codes, soigner l’image. Peaufiner et jouer avec le son… Il est très important pour nous que ces sessions aient été aussi ouvertes à des filles, à des hommes et des femmes de confessions différentes. Nous en sommes à cinq sessions, et l’on peut voir tous ces films en ligne, et les diffuser. http://doku5.wordpress.com/


Vous continuez toujours ? Et avec quels soutiens ?
Oufffff… l’aventure est éreintante, notamment en ce qui concerne les recherches de financements, les pressions politiques, les non-dits. Nous avons tenu grâce à des soutiens forts, celui de l’Institut kurdo-français de Sulaimaniya et grâce à d’autres professionnels, comme nous concernés, au sein d’Alterdoc ; avec le soutien de l’université de Provence, de Nisi Masa, réseau de jeunes cinéastes européens, de Guerilla Sound, et de Bridge Initiative. Pour le moment, pause !

Ce besoin de former ?
J’aime former des gens et j’aime qu’on me forme… je crois que cela va ensemble. J’aime travailler à plusieurs, penser à plusieurs, et dire ce que je pense – même quand c’est gênant (la plupart du temps) – sur la médiocrité de ce que je vois, ou plutôt sur la malhonnêteté de certaines images. Je voudrais continuer à former et à me former, mais j’aimerais qu’on me le demande, comme c’est arrivé au Kurdistan.
J’aime discuter et me prendre la tête, arrêter le politiquement correct des discussions sans sel autour du cinéma, et enfin boire un verre de vin avec ceux à qui j’ai pris la tête…

Et si on parlait d’un de tes films ?
Je parlerais de Soran fait son cinéma, et je ferais d’une pierre deux coups, car c’est à la fois son film et mon film [Soran Qurbani, équipé par Fulvia d’une petite caméra, filme son périple clandestin, du Kurdistan iranien aux rives anglaises. Fulvia est à ses côtés, dans l’adversité comme dans les apprentissages positifs].
Je voudrais l’accompagner aujourd’hui pour qu’il fasse son film tout seul, celui sur les chanteurs du PKK, mais aussi le film qu’on veut faire ensemble : le désert des Tartares en « Kurdie », sur ces combattants qui s’étiolent dans l’attente et ne voient rien venir.

Et en Italie, un désir de film ?
Oui… Filmer ces beaux dockers tristes, aux visages si pasoliniens, du port de Palerme, qui ont les boules et ne savent pas se défendre. De la Mafia ? Non, de la loi, d’une magistrature qui leur tape dessus faute de pouvoir taper ailleurs. De ces dockers qui ont des envies de suicide comme des éclairs sombres dans les yeux, un soir d’octobre dans un bar de Palerme, à deux pas d’un port qui leur paraît devenu leur ennemi, les grues comme autant d’armes prêtes à les écraser… De ces dockers dont je me fous qu’ils soient coupables ou innocents, du moment que je sais qu’ils sont des victimes.
Et ces dockers apprendraient aussi, peut-être, si j’étais assez forte, le poids de l’image et son pouvoir.

Nous finissons les anchois. Et le vin blanc qui n’est plus si frais. En riant !

Islam Phobie

Filmographie

  • Présumés coupables (2015)
  • Media au pays de l’omerta (2013)
  • Soran fait son cinéma (France 3 Corse)
  • L’exode des Chrétiens d’Irak (ARTE)
  • Irak : le quatrième pouvoir (ARTE)
  • Leptis Magna, un rêve de Rome en Afrique (ARTE, L’aventure humaine)
  • Mgr Rabban, évêque en Irak (France 2)
  • TTM Kurdistan (2010)
  • Grazie, Berlusconi ! (TV10 Angers) (Premiers prix au festival des médias indépendants-Bologne)
    sélection festival Z'engagés La Ciotat/FIGRA-Festival International du Grand Reportage/ECU Film Festival-Festival du Film Européen)
  • Portraits Robots (France 3)
  • Dili-Le port de l’espoir (France 3)
  • Les enfants mineurs du Burkina (ARTE)
  • La corrida du feu (France 3)
  • Les Iraniennes du docteur Aminpour (ARTE)
  • Albanie : Les gardiennes de la montagne (France 3)
  • Les marchands de Bagdad sous embargo (France 3)
  • La croix d’Ohrid (France 3)

Séries documentaire

  • Toutes les télés du monde (ARTE) – conception et réalisation
    • La télé des Kurdes d’Irak (Prix FIGRA, Festival du Grand Reportage/ festival de Douarnenez)
    • La télé des Irakiens
      La télé des Bosniens
    • La télé des Macédoniens
    • La télé des Kosovars
  • Tous les habits du monde (ARTE) – conception et réalisation
    Les habits des Kurdes (Prix Festival d’Erbil)
  • Visages d’Europe (ARTE) – conception et réalisation
    • Fatmire(Premier Prix Festival de Mitroviça)
  • La Seine Partagée (France 3-ZDF-Odyssée) – conception et réalisation
    • Épisode 2
    • Épisode 5
  • Mille enfants pour l’an 2000-série documentaire courte (France 2)
    • Samarra
    • Bagdad

Collaboration

  • La Turquie nouvelle frontière de l'Europe (France 5)
  • Voix de Palestine (Prod. Multimédia ArticleZ)
  • Globalisation : violence ou dialogue (ARTE)
  • L’Europe sème à l’Est (ARTE)

Documentaires unitaires indépendants

  • Sei mesi dopo (Entretien avec Haidi Giuliani, prod. Alterdoc)
  • Entretien avec Maria Persichetti (Série in progress: Les Brigades Rouges et la prison - Prod. Alterdoc)

Cinéma (courts-métrages)

  • Au nom de la mère
  • Un homme attend