René Vautier

Le Breton à la caméra rouge

De René Vautier, il nous faut retenir mille combats, caméra au poing.
Ce cinéaste breton a tourné de belles pages de la lutte anti-colonisation avec Afrique 50, Avoir 20 ans dans les Aurès, L’Algérie en flammes
Il reste aussi l’un des fondateurs de l’UPCB (Unité de production cinématographique de Bretagne) en 1970.
Censure, procès, marées noires et capitalisme, nucléaire et racisme, Vautier embrasse tous les combats…

« René Vautier, rouge breton », par Tangui Perron, sur le site de Périphérie

Il n’est pas aisé d’écrire sur René Vautier, homme de légende entretenant la légende, cinéaste baroudeur battant la campagne, bavard impénitent. Un livre et un flot d’adjectifs n’y suffiraient pas. Commençons par ses débuts et les faits les plus objectifs possible.
Né en 1928 à Camaret, René Vautier, jeune éclaireur de France avant guerre, passe du jeu aux armes pendant la Seconde Guerre mondiale. Résistant dans la région de Quimper, d’abord chargé du renseignement puis de la propagande, il côtoie tôt la mort. Courageux et bravache, son côté « boy-scout » et tête brûlée ne le quittèrent jamais tout à fait. S’il prolétarise parfois ses origines, ce sont des fortes femmes, indépendantes, qui marquent surtout sa jeunesse : une mère institutrice laïque, une grand-mère contremaîtresse dans les conserveries du littoral breton (qui gifla un jour le leader communiste Charles Tillon venu faire de l’agitation…), tandis que le père, un temps ouvrier puis contremaître avant de devenir entrepreneur, abandonna fort tôt le foyer familial.
Si René Vautier rejoint le parti communiste durant ses études de cinéma à Paris, juste après avoir été reçu brillamment à l’IDHEC, son réseau de résistance initial n’était pas du tout communiste. Communiste, René Vautier le sera par la suite toute sa vie et il le revendiquera toujours. Il s’agit cependant d’un communisme particulier, un communisme de guerre froide certes, au sectarisme flamboyant, mais René fut toujours plus attiré par les chocs frontaux que par les louanges à Staline.
Individualiste généreux, enragé charmeur, globalement, René Vautier est toujours un marginal, tant en politique que dans les milieux du cinéma. Homme de la fidélité dans ses convictions et amitiés, quoique toujours adhérent du PCF, Vautier a en fait épousé les idéologies les plus radicales de son époque : anticolonialisme, régionalisme frôlant l’indépendantisme, écologisme anticapitaliste…
Et l’œuvre dans tout ça ? L’œuvre de René, on aurait tendance à penser que c’est surtout l’homme lui-même, René Vautier, avec ses aventures incroyables et souvent vraies, alors que sa filmographie multiforme et protéiforme est difficilement saisissable. René Vautier filma en effet abondamment, participa à de nombreuses œuvres collectives, signa parfois d’un pseudonyme, se vit censurer et interdire moult fois par l’État ; un commando d’extrême droite saccagea des milliers de kilomètres de pellicule lui appartenant ; il oublia et perdit de plus des films derrière lui, tandis qu’on lui attribue parfois des œuvres qu’il n’a pas réalisées… Au cœur d’une manif, interpellé par son opérateur lui signalant que leur caméra ne contenait plus de pellicule, René aurait répondu : « C’est pas grave, tourne quand même » ! Cette anecdote est peut-être apocryphe, elle témoigne cependant d’une certaine conception du cinéma…
Un bilan de l’œuvre du cinéaste breton (que les CRS confondaient parfois avec Léo Ferré) ne peut être ainsi que cinématographique et politique. L’anticolonialisme, le cinéma militant et le cinéma en Bretagne lui doivent beaucoup.
Son premier film, Afrique 50, peut-être sa meilleure œuvre, est un violent et efficace réquisitoire contre le colonialisme français en Afrique noire. Le film lui valut une interdiction totale, treize inculpations, et l’armée, se rappelant que René Vautier n’avait pas fait son service militaire (ses faits de Résistance auraient pu pourtant l’en exempter), l’envoya en Allemagne… où il passa quasiment un an en prison militaire.
La suite fut diverse et courageuse, fantasque et brouillonne, internationaliste et inventive. Après 15 jours sur un chalutier, René filme l’enterrement de l’ouvrier brestois Édouard Mazé, assure pour le PCF la responsabilité d’un service d’ordre sur un tournage ou, pour la CGT, le secrétariat administratif de son syndicat des techniciens du film.
Mais c’est la guerre d’Algérie et l’Algérie qui constituent le premier volet de sa carrière. René Vautier passe ainsi clandestinement dans ce "territoire d’outre-mer" pour se battre et filmer du côté du FLN. Il y est blessé, incarcéré (à cause de conflit interne à la révolution algérienne), pourchassé par l’armée française. Là-bas aussi René devient une légende. À l’indépendance, et c’est là que René fut le plus proche du pouvoir (FLN), il travaille à la Cinémathèque d’Alger, forme de jeunes cinéastes algériens, organise des tournées homériques dans toute l’Algérie, y compris au sein de contrées qui n’avaient jamais vu de projection.
De retour en Bretagne, en œuvrant pour la création d’un cinéma en région, René Vautier fonde avec d’autres cinéastes l’UPCB. Durant cette première aventure décentralisée et régionaliste, il n’oublie pas son combat antiraciste (Les Ajoncs, 1969, et Les Trois cousins, 1969) ni la guerre d’Algérie (Avoir 20 ans dans les Aurès, 1972), son film le plus connu et le plus diffusé dans les réseaux parallèles. C’est durant cette période que le cinéaste breton fut le plus créatif et qu’il disposa le plus de soutiens, ce qui ne l’empêcha pas de connaître quelques échecs artistiques (comme avec La Folle de Toujane, 1974).
Les années 1980 furent moins fastes pour René Vautier, souvent ignoré par certains milieux (et dictionnaires) du cinéma, prêchant seul devant des auditoires alors moins fournis. Cela ne l’empêche pas de continuer ses combats et harangues, épaulé par quelques comités d’entreprise, tournant avec des enfants souvent banlieusards ou se rendant au Liban pour faire parvenir du matériel vidéo aux Palestiniens… Désormais le plus souvent seul derrière la caméra, ses réalisations pâtirent du manque de collaborations (comme naguère avec Yann Le Masson ou Bruno Muel). René Vautier avait pourtant su être un opérateur courageux et talentueux quand il filmait le passage de la ligne Morice, barrière électrifiée séparant l’Algérie et la Tunisie pendant la guerre coloniale, ou durant les charges de CRS à Brest, après la marée noire de l’Amoco Cadiz (Marée noire et colère rouge, 1978).
À la fin du XXe siècle néanmoins, René Vautier, toujours debout, suscite un intérêt nouveau illustré par de nombreuses rétrospectives ou des programmations attirant un public souvent jeune et passionné. Le cinéaste s’intéresse enfin à ses films, arrête de les semer à tout vent et la Cinémathèque de Bretagne peut entamer un travail de collecte et de diffusion. Le micro entre les dents, comme naguère la caméra, René Vautier parcourt inlassablement villes et campagnes, principalement en France et en Algérie : « Il était une fois le cinéma militant… »

Plus d’infos sur les films de René Vautier : Cinémathèque de Bretagne :
https://www.cinematheque-bretagne.bzh/base-documentaire-426-0-0-0.html?ref=fb1c4b7280422fe59b8d9f871fbf27e0

Plus de ressources sur le site de Périphérie, en lien avec Tangui Perron :
http://www.peripherie.asso.fr/

Un remarquable dossier sur Avoir 20 ans dans les Aurès de Olivier Bitoun, DVD Classik :
http://www.dvdclassik.com/critique/avoir-20-ans-dans-les-aures-vautier

et le livre-DVD sur Afrique 50 des Mutins de Pangée :
http://www.lesmutins.org/Afrique-50-De-sable-et-de-sang-en

Filmographie

  • 1950 Afrique 50
    Premier film réalisé par René Vautier, alors âgé de 21 ans, et premier film anticolonialiste français
  • 1950 Un homme est mort
    Film sur la mort de l’ouvrier Édouard Mazé, lors des manifestations et des grèves de Brest (mars-avril 1950). Le titre de ce film est repris d'un poème de Paul Éluard tiré du recueil Au rendez-vous allemand.
  • 1954 Une nation, l'Algérie
    l’une des deux copies est détruite, la deuxième a disparu. Après la révolution du novembre 1954, le film relate en images la véritable histoire de la conquête de l’Algérie. René Vautier est poursuivi pour atteinte à la sûreté intérieure de l’État pour une phrase du film : "L’Algérie sera de toute façon indépendante»
  • 1956 Anneaux d'or, avec Claudia Cardinale dans son premier rôle, une de ses rares œuvres de fiction, il remporte l'Ours d'argent au festival de Berlin-Ouest.
  • 1958 L'Algérie en flammes
  • 1963 Un peuple en marche, film qui fait un bilan de la guerre d'Algérie en retraçant l'histoire de l'ALN et qui montre l'effort populaire de reconstruction du pays, après l'indépendance
  • 1964 Le glas
    le film est d’abord interdit en France, puis autorisé en 1965 parce qu’il était autorisé en Angleterre
  • 1969 Classe de lutte
    avec les ouvriers du Groupe Medvedkine et Chris Marker.
  • 1970 Les trois cousins, fiction tragique sur les conditions de vie de trois cousins algériens à la recherche d’un travail en France. L'Award pour le meilleur film pour les Droits de l'Homme à Strasbourg en 1970.
  • 1971 Les Ajoncs
  • 1971 Mourir pour des images
  • 1972 Avoir vingt ans dans les Aurès, avec Alexandre Arcady, Yves Branellec, Philippe Léotard. Il obtient le Prix international de la critique du festival de Cannes.
  • 1973 Transmission d'expérience ouvrière, s’adressant à d’autres collectivités ouvrières, les ouvrières licenciés des usines des Forges d'Hennebont racontent la façon dont les promesses gouvernementales et patronales les ont floués.
  • 1974 La Folle de Toujane
    fiction, co-réalisation avec Nicole Le Garrec
  • 1974 Le Remords
  • 1975 Quand tu disais Valéry, avec Nicole Le Garrec, le film retrace la longue grève des ouvriers de l’usine de fabrication de caravanes Caravelair à Trignac, classé meilleur film français au festival de Rotterdam.
  • 1976 Le Poisson commande,[oscar du meilleur film sur la mer.
  • 1976 Frontline
    Réalisé avec Oliver Tambo, prédécesseur de Nelson Mandela et coproduit avec le Congrès national africain.
  • 1977 Quand les femmes ont pris la colère
    Co-réalisation avec Soazig Chappedelaine.
  • 1978 Marée noire, colère rouge
    Classé meilleur film document mondial 1978 au festival de Rotterdam.
  • 1980 Vacances en Giscardie
    Ce film regroupe deux reportages sur les vacances d'été des « Français moyens» : 1. Simplement vivre et 2. Une place au soleil.
  • 1985 À propos de… l'autre détail
    Lle film est constitué de témoignages sur la torture par des personnes ayant vécu la guerre. Certains témoins ont été torturés parJean-Marie Le Pen. Ces témoignages vont aider à défendre en justice le journal le Canard enchaîné dans le procès intenté par Jean-Marie Le Pen pour diffamation.
  • 1985 Chateaubriand, mémoire vivante.
  • 1986 Vous avez dit : français ?
    Réflexion sur la notion de citoyenneté française et l’histoire de l’immigration en France.
  • 1988 Mission pacifique
    Documentaire sur des témoins sur place qui analysent les prises de vues effectuées lors des explosions atomiques dans le Pacifique et du naufrage du Rainbow Warrior.
  • 1995 Hirochirac
    Reportage tourné pendant le cinquantième anniversaire d’Hiroshima, au moment où Jacques Chirac reprend les essais nucléaires dans le Pacifique, et complété par des témoignages de victimes du nucléaire.