Félix et Nicole Le Garrec
Nicole et Félix… ou Félix et Nicole, disent les amis. Ces deux-là se sont épaulés toute leur vie, et continuent de rêver d’images ensemble. Leur plus beau « forfait » reste le film Plogoff, des pierres contre des fusils, en 1980, tourné en plein cœur des événements qui secouèrent le cap Sizun, pressenti alors pour abriter une centrale nucléaire.
Ce sont tous deux de véritables autodidactes, et le proverbe « C’est en avançant qu’on fait le chemin » pourrait bien leur convenir. C’est souvent l’un qui provoque ou déclenche le projet de l’autre, projet qui souvent leur devient commun par la suite. Dans les années 1970, alors que Félix est établi comme photographe à Plonéour, au cœur du pays bigouden, il ne cesse d’explorer de nouvelles pistes. Il explore véritablement. Nicole se souvient : « il avait, par exemple, décidé de projeter des photos sur le mur de la criée de Douarnenez, personne ne faisait ça à l’époque. Ce sont des photos de marins, et moi, je me demandais ce qu’ils diraient, ces gars-là, si on les faisait parler. »
Mettre des mots sur les images ? Nicole cherche et décide que ce qu’elle souhaite le plus, c’est aller écouter les gens, recueillir leurs paroles. Elle se lance, avec Félix qui prend les photos, et au fil de leurs tribulations, c’est plus de 15 diaporamas qu’ils vont réaliser ensemble, sur des thèmes proches des gens qui vivent à la pointe du Finistère et, au-delà, dans toute la Bretagne : le remembrement, mais aussi la langue bretonne, les premières écoles bilingues, les pardons qui voient arriver les gens du voyage en pays bigouden, le bistrot du coin ou les ardoisiers, tout est prétexte à de nouvelles explorations…
Quand René Vautier, rencontré par Félix sur le tournage de Z de Costa-Gavras, vient tourner Les Ajoncs, en 1971, il fait appel à Nicole comme actrice. Elle va s’investir au-delà de ce rôle sur le film. Puis ce sera l’aventure du long-métrage, puisque Nicole est embauchée comme script sur le film suivant, Avoir 20 ans dans les Aurès. Félix participe aux repérages en Tunisie et signe la photographie. Ce film devenu emblématique de la dénonciation de la colonisation est une des premières réalisations de l’UPCB, Unité de production cinéma en Bretagne.
Auparavant, il y a eu Mourir pour des images, tourné à l’île de Sein, vibrant hommage à Alain Kaminker, cameraman disparu en mer. Pour Vautier aussi, l’heure est aux hommages, et Avoir 20 ans dans les Aurès remporte le prix de la Critique à Cannes en 1972. De ces premiers compagnonnages naîtra une longue et belle amitié, avec « le petit Blanc à la caméra rouge », surnom qui viendra plus tard à Vautier.
Nicole se lance et co-réalise avec René les deux films suivants, La Folle de Toujane en 1974, dans lequel elle fait même jouer ses propres parents, qui ont hérité pour fils de Gilles Servat, qui joue, lui, un instituteur breton qu’une déception va conduire en Tunisie comme coopérant. Le tournage en Bretagne, puis à Toujane, est joyeux et familial.
Ensuite, ce sera Quand tu disais Valéry, en 1975, une authentique plongée dans la culture ouvrière. Nicole reste à jamais marquée par ce tournage, lors duquel elle recueille les paroles des femmes syndicalistes CGT et CFDT. Quarante ans après, elle peut citer Marie-Blanche ou ses consœurs : «j’ai commencé à vivre quand mon mari est décédé, je me suis lancée à corps perdu dans la politique, à la chaîne on connaît la solidarité».
Derrière ce film, c’est toute l’âme du Centre de culture populaire de Saint-Nazaire, très actif dans ces années-là, qui vibre. Nicole et Félix évoquent cette époque avec émotion.
Par vents et marées, dans leur maison de Kerlamen, une ferme dénichée par Nicole, qu’ils ont équipée pour le travail, ces deux-là vont continuer, entre films de commande et projets personnels. L’audiovisuel est le noyau dur de cette famille qui s’agrandit, et doit tenter d’en vivre. Félix a eu vite fait de repérer que l’ancienne étable ferait une belle salle de projection, plus tard un studio d’enregistrement. La salle du pressoir deviendra salle de montage. Pourtant les temps ne sont pas faciles, ni pour le jeune couple, ni pour les oiseaux, victimes du naufrage de l’Amoco Cadiz, ce qui déclenchera en 1978 Mazoutés aujourd’hui, réalisé sans financement mais qui ira tourner dans toute la Yougoslavie. Destin singulier pour ce film, comme les Le Garrec savent en inventer.
Depuis un moment, Nicole suit toutes les manifestations à Plogoff, à quelques encâblures de leur domicile. C’est là, sur ces landes désolées, que l’on projette la construction d’une centrale nucléaire. Grave erreur, méconnaissance de ces capistes déterminés, et jamais aucun cadre d’EDF n’a pu imaginer que la population des environs pourrait se mobiliser autant. Soir après soir, comme on va à la messe, toutes générations confondues, ils manifestent. Religieusement, avec une foi inébranlable, pour lancer des pierres sur les unités de gendarmerie qui ont échoué en ce bout du monde.
Quand l’enquête publique commence, Félix et Nicole ont l’intuition qu’il faut tout filmer, et ils ne vont plus arrêter de tourner. « Puisqu’on sent qu’il le faut, nous dormons dans la ferme voisine, et nous décidons de nous endetter pour acheter de la pellicule. C’est le début d’une longue histoire… »
Nicole sourit quand elle évoque la diffusion de ce film, qui va être littéralement porté par les salles, et en tout premier lieu par le Festival de cinéma de Douarnenez, où il est projeté dans des salles combles en septembre 1980. L’exploitant du cinéma local, Paul Guyard, va s’enflammer au point de devenir distributeur du film, luttant âprement contre la Soredic, déjà bien implantée en Bretagne. Les critiques sont élogieuses jusqu’à la capitale ! C’est un véritable tour de France cinématographique qu’entament Félix et Nicole. Ils ne savent pas encore que cela va durer des années !
Depuis, le film continue sa route, et il est régulièrement demandé aujourd’hui, comme à Notre-Dame-des-Landes, par de jeunes chevelus enthousiastes et déterminés qui veulent comprendre les mécanismes de la lutte… Il est traduit en basque et en catalan, en espagnol et en allemand. L’onde japonaise de Fukushima n’est pas pour rien dans la vitalité retrouvée de ce film.
À partir de 1982, ce sera l’aventure de l’ARC, Atelier régional de cinéma, avec la production, entre autres, du court-métrage d’Olivier Bourbeillon La Fiancée, dès 1983. Formation et production ne vont pas aller sans remous et difficultés, et l’ARC ferme ses portes fin 1990, laissant aux deux nomades le loisir de continuer à réaliser plus loin : Roumanie, Mali, Vietnam…
Leurs routes sont sinueuses, faites de rencontres, de départs et de retours, mais aussi de solides amitiés, dont celle avec l’inébranlable René Vautier. Félix et Nicole semblent vouloir encore naviguer, bien au large des existences trop étroites… Bon vent !
Filmographie
- Nicole, avec René Vautier :
- 1970 Les ajoncs, actrice
- 1972 Avoir 20 ans dans les Aurès, scripte
- Félix est photographe de plateau
- 1974 La Folle de Toujane, co-réalisatrice
- 1975 Quand tu disais, Valéry, co-réalisatrice
- Félix à l'image pour Vautier :
- 1971 Mourir pour des images
- 1976 Le poisson commande
- Avec son mari Félix Le Garrec, elle réalise des diaporamas :
- La langue bretonne
- le remembrement
- Ouessant
- Olympic bravery, etc
- des films documentaires :
- 1977 Diwan
- 1978 Mazoutés aujourd'hui
- 1979 Santik du
- 1980 Plogoff, des pierres contre des fusils
- 1984 La chapelle de Languivoa
- 1987 L'ouragan
- 1990 Les enfants dauphins
- 1992 La porte du Danube
- 1993 Opération livres Mali
- 1993 Les enfants du Lougre
- 1995 Pierre-Jakez Hélias, l'émerveilleur