Farouk Beloufa
Farouk Beloufa est un cinéaste algérien qui, dès les années 1970, se sent étouffer dans son propre pays. Très jeune, il décide déjà de s’échapper grâce aux images. Il découvre le Liban en pleine guerre civile, en 1976.
Après un court séjour là-bas, il revient à Alger littéralement habité par un scénario qu’il achève très vite, et qu’il repart tourner à Beyrouth. Entre balles perdues et affrontements de factions. C’est Nahla, un long-métrage unanimement reconnu comme un objet rare de cinéma, salué par les Libanais, et qui laisse une belle empreinte dans le paysage du cinéma algérien.
Farouk, le cinéma, c’est une passion dévorante ?
J’ai assez tôt décidé de m’échapper grâce aux images. Images des autres tout d’abord : j’étais critique de cinéma. J’ai pu ainsi interviewer des cinéastes que j’admirais, comme Roman Polanski. Puis j’ai fait l’INC, cette première école de cinéma algérienne, que l’on a vite fait capoter. J’ai suivi alors l’IDHEC, et les séminaires de Roland Barthes, à Paris. J’admirais Bresson, Antonioni, Godard…
Le cinéma vous permet alors de partir travailler à l’étranger. Et l’aventure de Nahla commence en Égypte…
Je travaillais comme assistant de Youssef Chahine sur Le Retour de l’enfant prodigue, en 1976, au Caire, quand j’ai pu m’échapper trois semaines à Beyrouth. On est en pleine guerre civile, il y a des morts et des affrontements tous les jours, mais curieusement, je respire, je suis même fasciné, c’est là que je veux tourner mon film. Je retourne à Alger pour écrire, tenter de convaincre. Un producteur, Laghouati, va me suivre. C’est un des premiers dirigeants de la RTA, Radio et télévision algérienne, au lendemain de la guerre d’indépendance. Je ne peux plus reculer. Nahla est achevé en 1980.
Mais cela pouvait alors sembler un tournage impossible ?
Non, curieusement, ce qui n’aurait pu se dérouler en Algérie pouvait arriver au Liban. Simplement, nous nous sommes adaptés à la violence, arrêtant le tournage quand il devenait trop dangereux, parfois un jour ou deux, une fois trois semaines d’affilée. J’avais réuni une équipe légère, moins de dix personnes, c’était souple. Mais alors qu’à Alger je me sentais muselé, dévitalisé, cherchant mon oxygène, en Égypte ou au Liban j’ai pu enfin reprendre ma respiration. Cela peut sembler paradoxal, mais c’est ainsi. Dans mon pays, on nous a tout confisqué, il n’y avait pas de débat possible, aucun moyen de se projeter dans l’avenir. J’ai d’ailleurs fini par quitter l’Algérie, à la fin des années 1980, juste avant la période où l’intégrisme va sévir et meurtrir toute la société.
Dans Nahla, sans dévoiler le film, on oscille toujours entre deux univers. Celui, très onirique, de la chanteuse Nahla, peuplé d’archétypes du monde arabe, relié au monde de l’intériorité, et puis un univers de violence : celui de cette guerre que traque Larbi, un photographe algérien. Larbi parle-t-il beaucoup de vous ?
Larbi est ce type qui n’est jamais tout à fait à sa place, un peu schizophrène, en décalage. Il traverse les rues en courant, sous les balles qui ricochent. Pourtant, il est toujours très concerné, mais le reste du monde ne le voit pas. C’est l’art du cinéma que de transformer cette schizophrénie en un atout subtil, qui permet de s’élever… C’est à travers ce prisme subjectif de Larbi que l’on découvre cette guerre. Mais Larbi n’a-t-il pas tout inventé ? Pourtant, les spectateurs algériens peuvent aussi penser que mes images résonnent fortement avec leur propre histoire. En tout cas, les Algériens y ont reconnu des pans de leurs trajectoires… et m’ont dit à quel point ils avaient été touchés.
Nahla reste un film rare, une pépite, un mystère. Vous ne le reniez pas aujourd’hui ?
Non, c’est le film que je voulais faire, un supplément de liberté. J’étais formidablement sincère. Loin, bien loin des compromissions…
Remerciements à Samir Ardjoum, dont vous pouvez lire l’article sur le site très complet d’Africultures. Vous y trouverez aussi la filmographie de Farouk Beloufa.
http://www.africultures.com/php/?nav=personne&no=7140
Deux livres qui ont compté pour Farouk :
- Les Liens invisibles de Leïla Chellabi, écrivaine française née au Maroc
- Un thé au Sahara de Paul Bowles, écrivain américain ayant séjourné longtemps au Maroc, et adapté au cinéma par l’Italien Bertolucci
Filmographie
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