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Papous

  

Papous

 

Vue du ciel, la Nouvelle-Guinée, la plus grande île du monde (810 000 km2) après le Groenland ressemble à un saurien, d’un vert profond ; une sorte de mastodonte, vertébré d’ouest en est sur plus de 2000 km par des chaînes de montagne qui culminent à plus de 5000 mètres dans sa partie occidentale. Cette cordillère centrale tapissée de fougères arborescentes et de mousses luxuriantes sous un couvert nuageux quasiment permanent, porte sur ses flancs méridionaux, d’immenses plaines alluviales marécageuses bornées par la mangrove, échancrées, à l’est de l’île, par le Golfe de Papouasie. 

PAPOUS DE NOUVELLE-GUINÉE : DEUX AVENIRS CONTRASTÉS

Ces espaces territoriaux des plus contrastés (marécages, forêts inondées, forêts pluvieuses, hauts plateaux…) engendrent pour leurs populations des modes de vie très distincts : semi-nomades ou sédentaires ; portant sur la culture du sagou dans les basses terres ou sur la culture des tubercules dans les hautes terres : ignames, tarots (d’origine asiatique) sans oublier bien sûr la patate douce. Importé d'Amérique centrale par les Portugais via l’Espagne au début du 17e s., ce tubercule (la seule plante qui ne soit pas d’Asie) entraîna de profondes transformations économiques, sociales et spatiales. La patate douce acculturée aux hautes altitudes permettait enfin aux Papous de migrer en nombre dans les hautes terres froides de l’intérieur de l’île ; loin de ces plaines côtières où sévissaient dès le 15e s. les raids esclavagistes de sultanats moluquois.

Pour être hétérogènes les populations de Nouvelle-Guinée ont en commun bien des traits culturels. Nous savons aujourd’hui qu’elles viendraient du sud-est asiatique lors de la dernière glaciation. Si le continent asiatique et l’île de Java ont été peuplés depuis le Paléolithique inférieur (1,5 million d’année pour Java), les premières traces d’occupation humaine en Nouvelle-Guinée et en Australie sont beaucoup plus récentes (autour de 40 000 ans avant J.-C). En cause la fameuse ligne de Wallace. Ce fossé maritime séparait le continent Sunda - l’Asie continentale était alors reliée à l’archipel indonésien grâce à ce phénomène de glaciation qui avait fait baisser le niveau de la mer - du continent Sahul comprenant alors la Nouvelle-Guinée, l’Australie et la Tasmanie.

Les populations papoues (le terme papua vient du portugais et désignerait les cheveux crépus des indigènes) ou mélanésiennes (par référence à la couleur de leur peau noire) seraient issus de deux peuplements distincts : le premier, les Australoïdes, les premiers autochtones aborigènes (Papous, Aborigènes, Kanaks) venant du continent sud-est asiatique. Les seconds, les populations Mongoloïdes, arrivés bien après les Australoïdes (3000-1000 ans av. J.-C.) mais auxquels ils se mélangèrent, formant un melting pot assez contrasté. Deux grands ensembles qu’on distingue désormais selon des critères ethnolinguistiques. Les premiers autochtones parlant des langues non austronésiennes (principalement les Papous de l’intérieur des terres mais aussi les Tasmaniens et Aborigènes d’Australie) ; les seconds des langues austronésiennes dites aussi « Malayo-polynésiennes » disséminées parmi les populations côtières de Madagascar à l’île d’Hawai. Pour chacun des organisations sociales plus spécifiques : lignages patrilinéaires pour les uns, régimes matrilinéaires pour les Austronésiens.

Aujourd’hui un millier de groupes ethniques (253 pour la Papouasie Occidentale) se partagent la Nouvelle-Guinée. Un nom donné en 1545 par l’espagnol Ortiz de Retez pour les similitudes qu’il trouvait entre les populations papoues et les peuples africains de Guinée. Au fil de l’histoire cette île va être divisée territorialement, administrativement. La partie orientale fut partagée entre l’Allemagne et la Grande Bretagne dès 1884 avant d’être réunifiée sous tutelle australienne en 1949. Cette région appelée Papua New Guinea devint indépendante en 1975. La partie Occidentale de l’île, passait elle, à la fin du 19e siècle, sous le contrôle administratif du gouvernement hollandais, déjà colonisateur de tout l’archipel indonésien.

Depuis, la Nouvelle-Guinée est toujours scindée en deux parties, d’une superficie presque identique, mais aux fortunes diverses. Côté occidental, la Papouasie est intégrée de force à l’Indonésie (référendum truqué de 1969), ce dernier évinçant le colonisateur néerlandais à la fin de la deuxième guerre mondiale. Côté oriental, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, bien qu’indépendante, subit le joug économique du voisin australien, grand prédateur de ses ressources minières. Un sort, somme toute, largement préférable à celui que connaît la Papouasie Occidentale depuis plus de 50 ans.

Dans les années 1960 on recensait 800 000 Papous de part et d’autre de la frontière qui coupe l’île de Nouvelle-Guinée en deux. Cinquante ans plus tard, on compte 7,5 millions d’habitants en Papouasie-Nouvelle-Guinée contre moins de 2 millions en Papouasie Occidentale. Une différence démographique de cinq millions de personnes qui consacre aussi une différence de régime politique : indépendance d’un côté, colonisation de l’autre. En Papouasie Occidentale, les Papous sont désormais minoritaires. Leur avenir est si menacé qu’on n’hésite plus à parler de situation génocidaire.

Mais la Papouasie est loin, son territoire vaste et ses terres inhospitalières sont fermées aux étrangers, aux organisations non gouvernementales, aux journalistes. Les victimes pourtant ne manquent pas (entre 400 000 et 500 000 depuis son annexion par les Indonésiens) mais en l’absence de témoins, les témoignages sont rares, leurs cris étouffés. Il est grand temps de tendre l’oreille.

Philippe Pataud Célérier

ET CÔTÉ CINÉMA ?

Un des premiers films tournés : Les hommes à l'âge de pierre en Nouvelle-Guinée, par le britannique  B.Blackwood en 1937. Trente ans plus tard, le document Dead birds, par R. Gardner en 1963, que l’on trouve au Peabody Museum de l’Université d’Harvard, et Le ciel et la boue, du français Pierre Dominique Gaisseau, qui remportera l’Oscar du documentaire en 1962. Suivent des films scientifiques comme ceux des ethno- archéologues B. Théry et P. et A.M. Pétroquin : Yélémé, la hache de pierre polie en Nouvelle Guinée et bien d’autre titres du CNRS audiovisuel.

D’autres talentueux documentaristes ajouteront leurs pépites à cet édifice : Christophe de Ponfilly avec L'ombre blanche au pays des Papous, en 1996 ; l’ethnologue Stéphane Breton avec Eux et moi  en 2001, Le ciel dans un jardin en 2003, Damien Faure avec West Papua en 2002, Sampari en 2008, La Colonisation oubliée en 2010, Thomas Balmès avec le truculent Evangile selon les Papous en 1999 et En attendant Jésus en 2001.

Ne pas oublier Forgotten birds of paradise de Dominic Brown, le travail de Wensislaus Fatubun sur le site Papuan voices, les films passionnants de Leonard Retel Hemrich, et enfin le petit bijou qu’est la trilogie des australiens  Bob Connolly et Robin Anderson, First contact, 1982, Joe Leahy’s neighbours, 1988, et Black harvest, 1992, tournés au cœur de la Nouvelle-Guinée.

Pour de plus amples informations sur ces crimes contre l’humanité, lire les différents articles parus dans Le Monde Diplomatique ou www.philippepataudcélérier.com

Dernier article : Les Papous minoritaires en Papouasie, Le Monde Diplomatique, février 2015. www.monde-diplomatique.fr/2015/02/PATAUD_CELERIER/52622

PISTES BIBLIOGRAPHIQUES

  • PETREQUIN P. et A.M., Objets de pouvoir en Nouvelle-Guinée, C.N.R.S., 2006.
  • DEFERT G., L'Indonésie et la Nouvelle-Guinée-Occidentale, L'Harmattan, 1996.
  • GODELIER M., Les productions des grands hommes, Paris, Fayard 82; réédition Fayard, 1996.
  • MIKLOUKHO-MAKLAÏ, N., Le Papou blanc, Phébus, 1994.
  • SMIDT D., Asmat Art, Woodcarvings of Southwest New Guinea, Periplus, Amsterdam, 1993.
  • GREUB S., Art of Northwest New Guinea, from Geelvink Bay, Humboldt Bay and Lake Santani, Rizzoli, New-York, 1992.
  • SCHNEEBAUM T., La demeure des esprits, Actes Sud, 1991.
  • JUILLERAT B., Papous, Kanaks et Aborigènes, "Ethnies, droits de l'Homme et peuples autochtones", N°3, Vol. 5, Paris 1985, pp. 28-40.
  • MATTHIESSEN, P., Deux saisons à l'âge de pierre, Gallimard, 1967.
  • WIRZ P., Die Marind-anim von Holländisch-Süd-Neu-Guinea, Abhandlungen aus dem Bereich der Auslanskunde, 4 parts en 2 vols.; Hambourg, Friederischen, 1922-1925.

Photographie : "Lettre d'amour au soldat" - Wensislaus Fetubun