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Aborigènes

Aborigènes

Les Aborigènes sont les premiers habitants de l'Australie, arrivés il y a plus de 40 000 ans sur ce vaste continent, probablement en provenance de l'archipel indonésien.

Un continent que l'envahisseur britannique, suite au débarquement de Cook en 1770, déclarait terra nullius. Pourtant, répartis en plus de 250 tribus de langues différentes, y vivaient depuis des millénaires ces remarquables chasseurs-cueilleurs, en harmonie avec les ressources de la terre. Ils ont un système complexe de lois fondées sur des mythes et des rites rapportés à des êtres du Temps du Rêve, qui veillent sur les sites sacrés.

Aujourd'hui, toujours rudement ébranlés par les fléaux hérités de la colonisation, les Aborigènes sont recensés à plus de 455 000 avec un nombre impressionnant d’artistes reconnus mondialement. Ces créateurs affirment avec talent une culture à la fois ancestrale et toujours en mouvement. Extraits à suivre de l'anthropologue Barbara Glowczewski.

Les premiers Australiens vivaient de chasse et de cueillette, selon un mode semi-nomade, se déplaçant en fonction des saisons, du climat et des ressources de leur environnement. Sous prétexte que ces hommes et ces femmes marchaient nus, sans construire de maisons ni tailler de jardins ou de chemins, les Anglais ont prétendu que l'Australie était inhabitée : Terra nullius. Pourtant, tous les natifs avaient un territoire propre défini sur la base d'attaches spirituelles avec des sites nommés, points d'eau, rochers, collines, reposant sur des récits sacrés qu'ils mettaient en scène dans des cérémonies aux arts sophistiqués. De complexes systèmes fonciers géraient l'usage et la propriété de la terre, qui se distinguaient au sein des centaines de tribus, différenciées par leurs langues respectives [...]

La colonisation anglaise fut très violente ; massacres, épidémies et déportations décimèrent des groupes entiers lors de l'installation dans le sud de colonies pénitentiaires, au XIXème siècle. La violence des représailles, la sécheresse et parfois la curiosité poussèrent les familles survivantes à chercher refuge dans les fermes d'élevage de bétail, les missions et les réserves. En 1905, la naissance de la fédération australienne donna le champ libre au nouveau gouvernement qui établit une loi l'autorisant à ratisser systématiquement les campements les plus reculés pour trouver des enfants à la peau claire, nés de ce clash des envahisseurs, parfois par viol mais aussi par amour [...]

Quand le gouvernement définit une politique d'assimilation, il planifia un génocide technique, appelé le « blanchiment » de la race, constituant à marier les enfants à plus clair qu'eux, afin d'éradiquer à terme les peuples aborigènes (note) [...]

Note : C'est ce qu'on appelle la génération des enfants volés. Inhérents à ce phénomène, pertes d'identités, alcoolisme effroyable, formes d'automutilations...

Jusqu'au référendum de 1967, qui va enfin reconnaître des droits de citoyens aux natifs, il n'y a aucune obligation légale à payer le travail des Aborigènes. Seuls ceux qui demandent un certificat dit d'assimilation peuvent prétendre à un salaire, mais leurs origines ne les mettent jamais à l'abri de l'apartheid, quel que soit leur talent. Art ou sport sont découragés, pour éviter que les Noirs n'apparaissent comme plus performants que les Blancs. Le certificat d'assimilation est très difficile à obtenir, malgré l'embrigadement Bible en main imposé à plusieurs générations d'Aborigènes. Ils sont tous fichés au jour le jour, et doivent s'engager à ne plus fréquenter leur famille tribale d'origine [...]

Beaucoup de gens – y compris des anthropologues – ont cru que les Aborigènes étaient en voie de disparition. Or, la libre circulation hors des réserves, après le référendum de 1967, s'est accompagnée d'un babyboom et d'un revival des cultures locales, avec un mouvement de revendication de l'identité aborigène par tous les descendants quelle que soit leur couleur de peau. Ceux qui ont souffert de l'apartheid furent parmi les plus militants dans les luttes pour la restitution des terres confisquées.

En 1972, ils érigent une tente en guise d'ambassade aborigène devant le parlement de Canberra. Ils adoptent comme symbole national le drapeau dont les couleurs rouge pour la terre, noire pour les hommes et jaune pour le soleil vont devenir le signe de l'identité aborigène dans le monde entier.

Deux autres marqueurs graphiques émergent alors comme des signatures de l'autochtonie australienne. Les peintures de la Terre d'Arnhem transposent sur écorce leurs affiliations spirituelles à la terre : les patterns ou motifs et canevas claniques, combinent hachures et maillages avec des animaux dessinés en transparence, révélant leur anatomie, un style artistique hérité de l'art rupestre que les spécialistes appellent art « radioscopique ».

C'est au cours des années 70 que les peintres du désert occidental commencent à peindre à l'acrylique les fameuses toiles à petits points, connues dans le monde entier sous le nom de dot paintings.(note)

Note : Celles-ci sont une façon de transposer le Temps du Rêve, les mythes et surtout les liens spirituels avec des sites sacrés qui y sont attachés sur la toile. Des Aborigènes de Papunya (Australie Centrale), ont utilisé pour la première fois de la peinture acrylique pour reproduire leurs peintures traditionnelles, incités par Geoffrey Bardon, instructeur dans ces communautés. L'art aborigène a acquis, ces dernières années, un statut indéniable d’art moderne, entraînant aussi des mouvements d'argent disproportionnés et des mutations très violentes.

Pour ces groupes du Territoire du Nord, les revendications territoriales sont devenues une possibilité légale grâce à la loi sur les lands rights, votée en 1976. Dans les autres états d'Australie, ce n'est qu'après la victoire d'Eddie Mabo, autochtone du Détroit de Torrès, qui a invalidé la notion de terra nullius, que le gouvernement établit en 1992 une nouvelle loi officialisant la reconnaissance du principe du Native Title, titre foncier autochtone, qui reste à légitimer cas par cas dans un tribunal créé pour l'occasion [...]

Extraits de Rêves en colère de Barbara Glowczewski

Et aujourd'hui ?

Les Aborigènes connaissent un taux de chômage six fois supérieur au taux australien moyen. Leur espérance de vie est inférieure de vingt ans à celle des autres Australiens.

Alcoolisme, addiction aux drogues, violences, suicides, autant de conséquences de la dépossession de leurs terres, du viol de leurs cultures, et du déni de leur dignité de la part des Européens.

L'alcoolisme entraîne l'existence d'une délinquance particulièrement réprimée. Les Aborigènes représentent 40 % des détenus, alors qu'ils ne sont que 2 % de la population australienne. Les cas de décès en prison, death in custody, sont légion. C'est bien entendu dans les centres urbains que ces symptômes sont les plus violents.

Et pourtant ?

Grâce aux luttes politiques incessantes des Aborigènes, y compris leur mobilisation sur internet depuis des années, beaucoup de demandes de pardons se sont succédées. En 1992, il y eut un discours célèbre prononcé par le premier ministre Paul Keating sur la réconciliation. On crée en 1998 le Sorry Day, jour du pardon. L’ultime reconnaissance symbolique a eu lieu en février 2008 lorsque le nouveau Premier ministre et le chef de l'Opposition se sont excusés devant le Parlement au nom du peuple australien pour les crimes commis par le passé envers les Aborigènes.

Malgré le travail social de nombreuses organisations aborigènes, l’implication des leaders dans diverses initiatives de développement et de justice sociale, les conflits économiques générés par la course libérale menacent sans cesse l’existence des Aborigènes.

Et côté cinéma ?

Les cérémonies indigènes ont été parmi les premières scènes jamais enregistrées en Australie, notamment par l'anthropologue Baldwin Spencer en 1900. Jedda de Charles Chauvel, présenté à Cannes en 1955, a été le premier film où les rôles principaux étaient tenus par des Aborigènes.

Outre les regards de Blancs sur la culture et l’histoire de ce peuple ( Nicholas Roeg et Walkabout, Henri Safran et Stormboy, Le Chemin de la liberté de Phillip Noyce, les films de Rolf de Heer, de Ned Lander, de David Bradbury)... toute une génération de cinéastes aborigènes a émergé dès les années 1980 avec Tracy Moffat, artiste Wayne Jowandi Barker, musicien ou Richard Frankland, écrivain. La jeune productrice Rachel Perkins, fille du célèbre activiste Charlie Perkins, se lança aussi avec succès dans la réalisation. A ses côtés, Ivan Sen, Warwick Thornton, Erica Glynn, Sally Riley, Darlène Johnson, Rima Tamou...

David Gulpilil, acteur aborigène, dans de nombreux films depuis 1971, a été sacré meilleur acteur à Cannes en 2014.

Des jeunes des communautés se sont emparés des outils numériques et innovent à leur tour, tournant ainsi de nouvelles pages de l'histoire de leur peuple.

Pistes bibliographiques :

Crédits photographiques : Barbara Glowczewski