Marie Hélia
Marie Hélia sait de toute évidence pourquoi elle est devenue cinéaste. Pourtant, elle ne s’avoue pas très cinéphile, et cela aurait pu être le théâtre. Mais pour celle qui ne se satisfait pas de l’uniformité, le Festival de cinéma de Douarnenez, éclos en 1978, va être décisif.
Devant les écrans, elle découvre que le monde peut se décliner différemment, selon qu’on est indienne abénaki, inuite ou fille de marin douarneniste. Puisqu’il en est ainsi, elle qui s’affirme rebelle aux codes stricts et aux convenances, qui revendique haut et fort sa liberté de ton et de création, eh bien, elle fera des films !
« Je sais depuis cette première édition dédiée au Québec, et au fil des suivantes, que je ne manquerais pour rien au monde, que je veux témoigner. Témoigner de mon monde, comme ces réalisateurs amérindiens, occitans ou algériens que je croise dans la petite ville, un peu rebelle et frondeuse, où j’ai grandi. Témoigner des gestes et convictions d’un monde ouvrier qui s’évanouit déjà, sur fond de crise sardinière. Dire les femmes dans leur toute-puissance, même si, à mes yeux, le matriarcat breton n’existe pas. Non, c’est juste de dignité que je veux parler, avec mes images. Veuves patronnes de café sur le port dans L’Étoile d’or (1990), apprenties et commises, des fritures jusqu’aux usines modernes d’aujourd’hui, ou militantes féministes de mon dernier film, Les Chevalières de la Table ronde (2013).
Les femmes, je les croise reléguées dans la cuisine, alors que je suis assistante de László Szabó, un réalisateur hongrois qui traque les récits des hommes, pour la série Mémoires de marins. Je réalise alors que c’est à elles, aux épouses silencieuses, que je veux redonner la parole ; elles que l’on a si peu écoutées. Toutes leurs histoires ont nourri ma jeunesse, mais c’est au-delà des repas de famille que je veux faire porter leurs voix.
Ce sera L’Usine rouge en 1989, un film qui sera le creuset de tous ceux qui vont suivre. Je vais continuer à tracer le même sillon des années durant. D’ailleurs, je ne suis pas bien sûre d’en avoir fini avec cette mémoire douarneniste.
Si j’arpente les mêmes ruelles, si je retourne sur les mêmes quais, en revanche je scrute les moments clés, les dates symboliques, les bascules comme cette année 2000 où je tourne Les Filles de la sardine, une fresque humaniste et lucide sur les ouvrières des conserveries. Je guette leurs espoirs déçus, leurs rêves enfouis, je voudrais leur offrir de rêver comme je le fais dans Traces de futur, en 2003, un véritable film d’anticipation tourné sur le port du Rosmeur. Chaque fois, il me faut rechercher une autre forme, une mise en scène du réel. Cette année-là, j’imagine le dispositif du Vidéomaton. »
Puis ce sera une fiction maison avec Micro-climat, en 2007. On y retrouve beaucoup de thèmes chers à Marie et, là encore, l’invention est au rendez-vous, les répliques sont cinglantes et sonnent juste. Certains riront jaune mais Marie n’en a cure, elle qui a déjà frappé juste et drôle avec Les Princesses de la piste en 2005, une sarabande jubilatoire et alcoolisée, sur les quais de Brest cette fois-ci.
Son talent de scénariste crève les brumes du port de commerce.
Brest où Marie a élu domicile, y adossant Paris-Brest Productions, la structure montée avec son compagnon, le cinéaste Olivier Bourbeillon. Avec celui-ci, elle signe en 1997 un documentaire dense et remarqué, BZH, des Bretons, des Bretagnes, qui fait couler beaucoup d’encre et délie bien des langues lors d’interminables débats. On y aborde tout ce qui fâche dans le monde des militants de la langue bretonne, mais on y met aussi en exergue la richesse de cette culture, sa diversité. Les points de vue contradictoires s’y affrontent, et Marie et Olivier vont croiser le fer pour défendre leur liberté de penser.
Encore une fois, c’est une image plus complexe de la Bretagne que celle que tout le monde veut bien admettre. « Je ne reconnaissais pas cette Bretagne que d’aucuns comparaient à l’Irlande, dans ces années 1990. J’ai voulu aller voir par moi-même, passer ma tête par-dessus le mur, regarder ce que l’on cachait sous le tapis. Cela ne fait pas toujours plaisir, mais je m’en moque ! »
Marie revendique encore et toujours sa liberté d’artiste, elle qui ne craint pas d’introduire dans son dernier documentaire sur les militantes du Planning familial des créatures velues, des gorilla ou guerrilla girls. Encore une invention qui en fait grincer certains. Mais Marie est déjà ailleurs.
Quand on lui demande si elle n’a pas fait le tour de Douarnenez, si la veine ne s’est pas tarie, elle hésite un court moment puis vous raconte avec les yeux qui brillent à nouveau comment cocasserie et sociologie peuvent cohabiter dans cette ville. À la Plage des Dames, une crique du centre-ville, les Sénégalaises nouvellement émigrées ont remplacé les femmes des « Mauritaniens », ceux d’ici qui allaient à la pêche à la langouste. Certains ont quand même bien fait suer les Noirs, non ? Et ces femmes noires sont aujourd’hui là, sous le soleil exactement, à la place des anciennes… encore une bascule !
Marie Hélia n’a pas fini de nous dire toutes les couleurs du monde, et les cinéastes abénakis de ses débuts s’en réjouissent !
Un livre absolu : Le coeur cousu de Carole Martinez
J'aime bien aller me balader sur le site de la Maison européenne de la photographie
http://www.mep-fr.org/
ou chez des artistes bretons
http://ddab.org/fr/
FILMOGRAPHIE
- 2018. L'AMOCO. Documentaire, 52'. Production : Paris-Brest Productions
- 2015 Au maille !
Documentaire 37'. Production : Paris-Brest Productions
- 2013 Les chevalières de la table ronde
Documentaire 80’. Production : Paris-Brest productions.
- 2011 Dans la ville rouge
Documentaire 45’. Production : Paris-Brest productions.
- 2008 La femme serpent
37’. Production : Paris-Brest productions.
- 2005/06 Microclimat
90'. Production : Paris-Brest productions.
- 2004 Les princesses de la piste
Fiction 37'. Production: Paris-Brest productions.
- Bobines d'amateurs
Série de portraits de cinéastes amateurs, 15X6'. Réalisés avec la complicité de Gérard Lefort.
Production : Paris-Brest productions
- 2002/2003 Traces de futurs
Fiction documentaire 60'.
- 2001 L'Album
Série de photos commentées 100X2'. Co-réalisation O.Bourbeillon, T. Salvert.
Production : Paris-Brest.productions
- 2000 Les filles de la sardine
Documentaire 50'. Production : Paris-Brest.productions.
- 1999 Monette
Fiction 9'
- 1998 Le grand avec une guitare
Reportage 26', avec le musicien Jacques Pellen. Production : Morgane.
- 1996/97 BZH, des bretons des Bretagnes
Documentaire 85'. Histoire du mouvement politique et culturel en Bretagne.
Production : Lazennec Bretagne.
- 1993 An enez du (l'île noire)
Fiction 17'. Production : Lazennec Bretagne
- 1991 L'étoile d'or
Documentaire 26'. Production : Lazennec Bretagne.
- 1990 Amélie Palace
Fiction 15'. Production : Emeraude production
- 1989 L'usine rouge
Documentaire 26'. Production : Lazennec productions
Un livre absolu : Le Cœur cousu, de Carole Martinez
Marie aime bien aller se balader sur le site de la Maison européenne de la photographie :
http://www.mep-fr.org/
ou chez des artistes bretons :
http://ddab.org/fr/