Jean-Michel Carré
Doué d’un formidable sens de l’empathie, Jean-Michel Carré aurait certainement été un bon médecin. Mais, heureusement pour les cinéphiles que nous sommes, il a préféré la caméra aux ordonnances.
Ses priorités, aujourd’hui comme hier ? Regarder le monde avec lucidité, exigence, se saisir du collectif, aller scruter avec constance les alternatives de ceux qui croient encore qu’un autre monde est possible. Revenir encore et toujours sur nos rêves, avoir la conscience de ceux qui sont enfermés, dans les prisons comme dans les souffrances au travail. Au fil des ans, Jean-Michel Carré a aussi bâti un formidable outil collectif, les Films Grain de Sable.
Tout d’abord, restituer la belle parole de Jean-Michel Carré, captée dans une interview de Sophie Sendra réalisée en 2013 pour BSC News.
« Oui, je suis devenu un rebelle presque malgré moi, par le fait que je poursuis mes idéaux alors que beaucoup d’autres les ont abandonnés. Je suis rebelle à la bêtise, au politiquement correct, aux réponses toutes faites, à la société de consommation, à l’égoïsme, à toutes les formes d’injustice, au dos tourné, à la haine, au mépris, au sectarisme, à la pub, à la religion, aux simplifications… Je cherche toujours à comprendre le monde dans lequel je vis, les êtres humains qui m’entourent, surtout ceux à qui on ne donne jamais la parole, mais aussi à comprendre ceux qui exercent un pouvoir, qui en abusent et qui écrasent des millions d’autres. »
Né en 1948, Jean-Michel Carré abandonne ses études de médecine en 1968 pour entrer à l’IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques, aujourd’hui Fémis). Il raconte volontiers que sa volonté de devenir cinéaste date de ses 16 ans, quand, « après avoir assisté à une projection de Pierrot le fou, j’entrevois soudain les multiples possibilités d’écriture qu’offre le cinéma. Plus tard, j’écrirais : Le cinéma est l’art le plus adéquat pour l’activisme politique. »
Sur le site de sa maison de production Grain de Sable, il ajoute : « Le véritable travail du documentariste est de témoigner de la place de l’homme dans le système, celui qu’il s’impose comme celui qu’il invente. J’ai toujours été préoccupé par ceux qui, mus par la volonté de changer les relations humaines, s’investissent dans la sphère sociale et politique. Je ne cède pas à l’aigreur des fins de partie, mais questionne encore les initiatives nouvelles, les différentes façons de vivre avec l’autre, de construire la collectivité et de bâtir un avenir différent. L’expérience de la collectivité se fait sur tous les plans.
Mes films sont construits avec les acteurs de ces aventures et autour des initiatives qu’ils tentent de mettre en place ; que ce soit dans le domaine de l’éducation, de la mondialisation ou bien encore de la maladie mentale. Le film lui-même devient alors une expérience collective humaine. »
Très vite, Jean-Michel Carré va se frotter à la censure, puisque son premier documentaire, sur Cuba, est interdit de diffusion en octobre 1968. Le vent de Mai 68 ne va pas retomber tout de suite : en 1974, alors que la censure pèse encore lourdement sur le cinéma, Jean-Michel participe à la création du premier festival du film interdit.
En même temps, dans cette logique de faire des films qui peuvent aider à transformer la société, il fonde un collectif de production avec des amis, Serge Poljinsky puis Yann Le Masson, réalisateur breton, qui les rejoint. Le nom choisi est explicite : « Grain de Sable », maison de production et distribution qui perdure toujours, preuve d’une belle pugnacité. Chacun, à tour de rôle, travaille comme technicien pour les autres. Le matériel est mis en commun, un circuit de diffusion parallèle est créé, grâce aux comités d’entreprise, aux facs, aux associations. Dans ce contexte, ils produisent des films en liaison avec des luttes sur le terrain. Rapidement, Grain de sable instaure une véritable autogestion du cinéma. Les spectateurs font des souscriptions, louent directement des films, participent aux débats et à la production.
Mais ces questions de société ne sont pas dissociées des luttes internationales, et le réalisateur et ses amis vont enquêter sur de multiples terreaux propices aux dictatures : l’Afrique du Sud et l’apartheid, les conflits du Moyen-Orient, la révolution des œillets au Portugal, le Japon avec Kashima Paradise de Yann Le Masson.
Le Ghetto expérimental (1975), écrit et réalisé avec Adam Schmedes, est pour Jean-Michel Carré le début d’une série d’une quarantaine de films, de fiction ou documentaires, tous engagés pour questionner notamment ce que Michel Foucault appelle les lieux de l’enfermement.
À commencer par l’école, sondée dès 1976 avec L’Enfant prisonnier. Ce film sur l’enseignement traditionnel comme moyen d’aliénation sera nominé pour le césar du meilleur court-métrage de fiction en 1977. Suivront sur le monde de l’enfance Alertez les bébés ! en 1978 et Votre enfant m’intéresse en 1981, parmi bien d’autres.
Le monde carcéral, avec en particulier Les Femmes de Fleury en 1991 puis Les Enfants des prisons en 1992, Galères de femmes en 1993, Les Matonnes en 1994, retient longtemps l’attention de Jean-Michel Carré, une recherche en trois actes totalement cohérente avec son questionnement sur l’enfermement. Ce trois films peuvent être vus en ligne sur un site remarquable dédié au monde carcéral, Carceropolis.
L’hôpital, les usines et les souffrances du monde ouvrier, autant d’autres terrains. Pour ce qui est du monde du travail, J’ai mal au travail est tourné en 2003, et le réalisateur y revient en 2006 avec J’ai (très) mal au travail. Une longue enquête sur le terrain lui permet aussi d’aborder le monde des prostituées : depuis Les Trottoirs de Paris en 1994 jusqu’à Les Travailleu(r)ses du sexe en 2010.
Sur la folie, il y aura en 1996 une belle fiction, Visiblement je vous aime, sur un lieu de vie pour psychotiques et autistes, et un documentaire en 2000, Beaucoup, passionnément, à la folie, qui revient sur ce tournage de fiction (voir dossier en pdf Désir de film avec Jean-Michel Carré).
Depuis ces quinze dernières années, c’est en Russie, pour démonter le système Poutine, que le réalisateur revient inlassablement, ne lâchant pas sa proie. Le point de départ est le film-enquête Koursk : un sous-marin en eaux troubles (2004). Le Système Poutine en 2007 est un réquisitoire implacable contre ce dictateur, qui sera suivi de Ukraine, de la démocratie au chaos en 2012 et de Poutine… pour toujours ? en 2014.
Aujourd’hui, c’est en Chine que le réalisateur passe de longues semaines à arpenter les archives, bureaux d’officiels, à retourner les dossiers difficiles ; à recueillir les paroles de ceux que l’on voudrait faire taire. Chine, le nouvel empire, en 2013, retrace un siècle et demi d’histoire de la Chine et revient sur l’ascension fulgurante de cette grande puissance. La série fait déjà trois volets, mais il est bien clair que Jean-Michel Carré n’a pas dit son dernier mot !
FILMOGRAPHIE
- 2019 : Royal de luxe - 52' , HD
- 2018 : 2 degrés, les dessous de la guerre climatique
- 2017 : Chine, un million d'artistes - 52' , HD
- 2016 : Poutine, le nouvel Empire - version actualisée
- 2015 Poutine, le nouvel Empire
- 2014 Poutine… pour toujours ?
Documentaire 90’ – France 2 – RTBF - TSR - Al Jazeera... Sélectionné au Figra 2014
- 2013 Chine, le nouvel empire
(Documentaire 3x60’ et 2h50 – Arte / RTBF / MDR…)
- Sélection Documentaire international FIPA 2013
- Nominé du Grand Prix du Documentaire de la Télévision française 2013, Prix du Sénat
- Sélection Festival International d’Histoire de Pessac 2013
- 2012 Ukraine, de la démocratie au chaos
Documentaire 80’ – Planète / MDR /Al Jazeera English coréalisé avec Jill Emery
- Prix du Jury, Figra 2013,
- Grand Prix Focals Awards de Londres 2013
- 2011 Grandir à petits pas
Documentaire 52’ – France 5 - 2010 Sexe, amour et handicap
Documentaire 80’ – France 2 / TSR
Grand Prix du Festival International de la santé de Liège 2011 - 2009 Les travailleu(r)ses du sexe
Documentaire-85’ –co-production France 2 / RTBF / Simple production Sortie salles - 2007 Le système Poutine
Documentaire-90’ – co-production France 2 / NDR (Allemagne) / RTBF (Belgique) / TSR (Suisse) / SVT (Suède) / RADIO Canada / SBS (Australie) / STB (Ukraine) / Planète).
- Grand Prix 2008 du Festival Italia des Télévisions Internationales
- Grand Prix 2008 du meilleur programme télévisuel 2007 CBNewMedias
- Prix Spécial du jury, Festival International de Berlin - Europa 2007
- Prix du public et Prix du montage, Festival International Figra 2008.
- Sélectionné pour les Emmy Awards, New-York 2008.
- Sortie Cinéma en Grande-Bretagne 2008 en association avec le Festival de Sheffield - 2006 J’ai très mal au travail
Documentaire-90’ – CANAL + / INA/ RTBF
- Sortie en salles le 31 octobre 2007. - 2004 Koursk, un sous-marin en eaux troubles
Documentaire- 90’ - France 2 / RTBF Belgique / Radio Canada / Sundance Channel (USA)
- Prix spécial du Jury, Festival. International de Grenade 2007
- Grand Prix du Festival FIGRA 2005 - 2003
- Drôle de genre Fiction TV-90’– La Sept ARTE
- J’ai mal au travail Documentaire-90’- INRS
- Les coulisses du Far West Documentaire-52’- Equidia
- 2002 Alice la malice
Film cinéma – fiction co-production franco-russe -90’
- Prix du public Festival International Bulgaria 2003
- 2001 Tower opera
Documentaire – 52’
- Nomination au 7 d’Or 2003
- 2000 Sur le fil du refuge
Documentaire-90’-La Sept ARTE
Les bâtisseurs d’espoir
Documentaire- 3x26’- la Cinquième
- 1999 Charbons ardents
Documentaire -90’- La Sept ARTE – Grand Format/ Sortie cinéma- Grand Prix du Festival International Del Populi Florence 2000 - 1999 Sous le charbon les braises
Documentaire – 52’ – La Cinquième
- 1999 Beaucoup, passionnément, à la folie
Documentaire -70’- A2 - 1999 Question de classe(s)
Documentaire -85’- Théma La Sept ARTE - 1999 Portrait d’une génération pour l’an 2000
45 x 13’ – La Cinquième
- Nomination aux 7 d’Or 99 - 1998
- Histoire d’enfance Documentaire –52’- La Cinquième
- Récits de la jeunesse : les valeurs Documentaire –52’- La Cinquième
- La saison du cobaye Documentaire –52’- ACT 4 / FR2
- 1996 / 97
- Récits de la jeunesse: Travail, Famille, etc... Documentaire -3x52’- FR2
- Hong-Kong / Hanoï : Retour de camps Documentaire -52’- Planète
- Vietnam : les enfants de la paix Documentaire -52’- FR3
- 1996
- Un couple peu ordinaire Documentaire-52’ - FR2
- La nouvelle vie de Bénédicte Documentaire - 52’-TF1
- L’étrange noël d’Antonio Fiction -26’- La 5ème
- 1995
- Les clients des prostituées Documentaire -52’- FR2- Sélectionné au Prix Futura 1995 – Berlin
- Visiblement, je vous aime Canal +/Fiction-Long métrage / Sortie 01/96 avec Denis LAVANT
- Prix Coup de Coeur – Festival de Cannes SACD 1995- Sélection Cannes 1995 "Cinéma en France"- Grand Prix du Jury
- Festival International du film d'Amiens - Les matonnes (Les surveillantes) Documentaire -52’- Planète
- Les enfants des prostituées Documentaire -52’- TF1
- 1994 Les trottoirs de paris
Documentaire-55’-TF1
- Prix du Comité Français pour l’Audiovisuel - Sénat 1995
- 1994 L’enfer d’une mère
Documentaire -52’- TF1
- 1993
- Don’t disturb, Court métrage de fiction -13’ avec Jean-Claude DREYFUS
- Galères de femmes, Documentaire -long métrage cinéma-90’
- 1992
- Prière de réinsérer, Documentaire -58’- TF
- Nomination aux 7 d’Or 1993
- Nomination aux Emmy Awards de New York 1992 - Les enfants des prisons, Documentaire -52’- FR2
- sélectionné au Festival Input 1993 - Les poussins de la goutte d'or (Documentaire -52’- La Sept)
- Sélectionné au Festival du Réel 1993
- Prix de la Fondation pour l'Enfance 1994
- Prière de réinsérer, Documentaire -58’- TF
- 1991
- Femmes de Fleury, Documentaire -58’- TF1 - Prix du Festival International des Télévisions ONDAS 1991 Barcelone
- Vive la liberté, Documentaire -26’
- Cité swing Court, métrage-13’ pour les CEMEA
- Ecrire contre l’oubli, produit et diffusé pour le 30ème anniversaire d’Amnesty International
- 1990
- L’île rouge, Documentaire -52’- La Sept
- Prix du Jury du Festival de la Fête - Nice 1991 - Laurence (Film -26’-)
- Nominé au FIPA 1991
- L’île rouge, Documentaire -52’- La Sept
- 1989
- Les petits chaperons rouges, Court métrage -13’
- Souffler n’est pas jouer, Documentaire -18’
- 1988 Fauteurs d’eaux troubles
Documentaire -26’, avec le Musée des Sciences et des Techniques de la Villette
- 1987 Les dossiers du bistrot
Emissions en direct-6 x 2h10
- 1984 On n’est pas des minus
Documentaire -50’
- 1981 Votre enfant m'intéresse
Long métrage -90’- Sortie oct 1981
- 1978 Alertez les bébés !
Long métrage -90’- Sortie oct 1978
- Prix du Festival du Cinéma du Réel, Beaubourg 1978
- Prix du Public, Festival International de Trouville 1978
- 1975 / 77 L’enfant prisonnier
Court métrage -26’
- Grand Prix du Festival du Film Francophone, New Orléans1977
- Prix de l’Office de la Création Cinématographique 1976
- Nominé aux Césars du court-métrage 1977
- 1973 Liberté Jean
- Grand Prix du Festival International de Belfort 1973
- Grand Prix de la Cinémathèque Française 1973
- 1971 / 73 Le ghetto expérimental
Documentaire -90’- Sortie février 1995
- Prix du Jeune Cinéma, Festival de Bruxelles 1974
- Prix Spécial du Jury, Festival International, Thonon-les-Bains 1974
1968 Lauréat de la bourse FEU VERT POUR L'AVENTURE
et réalisation d'un Documentaire sur Cuba. Interdit d’antenne en Octobre 1968
BIBLIOGRAPHIE
1999 Charbons ardents, construction d’une utopie - Editions Serpent à plumes - Arte
2008 Poutine, le parrain de toutes les Russies - Editions Saint-Simon
2009 La guerre du gaz - Editions du Rocher, avec Roumiana Ougartchinska
2010 Les travailleu(r)ses du sexe et fières de l’être - Editions du Seuil
1999 Charbons ardents, construction d’une utopie - Editions Serpent à plumes - Arte
2008 Poutine, le parrain de toutes les Russies - Editions Saint-Simon
2009 La guerre du gaz - Editions du Rocher, avec Roumiana Ougartchinska
2010 Les travailleu(r)ses du sexe et fières de l’être - Editions du Seuil